« Tout paraissait tellement évident, pour Galel. Marcher, manger, dormir. Simplement marcher, manger, dormir et faire ça avec de la joie. Et quand il y a du chagrin, simplement se consoler et se remettre à marcher.

Le lendemain Galel était le dernier debout. Il a sa manière à lui de se réveiller : il dort et tout à coup et il est réveillé. Il passe d’un état à l’autre sans problème. Il ne revient pas au monde comme tout le monde. 

 Après Chiesa Seraina, c’est avec une curiosité au final pleine d’attentes que je me suis plongée dans l’univers minéral et intemporel de Galel, première publication romanesque de l’autrice romande lauréate du Prix suisse de littérature. Un récit sur la montagne, que l’on imagine susurré à l’oreille de l’écrivaine par les neiges éternelles et les pierriers, protagonistes du récit à même titre que les personnages.

Galel réunit trois hommes autour de la passion des montagnes, dans une vallée fictive au décor alpin. Il y a Paul, gardien de cabane, cruellement témoin de la manière dont la montagne est plus forte que l’homme. Chaque été, c’est lui qui ouvre le refuge de la Baïta, point d’ancrage des trois amis qui s’y retrouvent une fois dans l’année. Il y a aussi Jonas, guide enthousiaste, ouvrier à la chaîne durant l’hiver. Et surtout Galel, l’autre guide, l’emblématique, le pilier du groupe, détaché des autres par sa prestance, son « petit quelque chose en plus ». Ces trois personnages taciturnes entretiennent tout au long de l’histoire les liens indicibles qui les relient les uns aux autres, à travers des bons repas et des silences.

Leur histoire se lit comme une randonnée, les mots de Fanny Desarzens sont notre guide de montagne. D’abord sur un chemin sûre et stable, puis à flan de coteau, au bord du vide. Le début du livre a des allures d’utopie où guides et marcheurs se fondent dans la beauté du paysage. Puis vient la fissure -un pierrier, un éboulement-, et cette tension latente, sorte d’angoisse sans visage qui nous transporte et nous donne envie de poursuivre le récit d’une traite. Galel -sorte de Messie sacrifiant sa santé pour sauver les autres- s’est blessé au genou lors d’un sauvetage et le pronostic médical, mauvais, vient entacher le décor idyllique.

Le livre est avant tout un hymne à la nature ; l’autrice rend hommage à la vie simple des amoureux de la nature, au travail manuel -qui se retrouve dans Chiesa Serraina-, aux rituels marquant le quotidien. On note une dichotomie entre le monde préservé des sommets et la civilisation -la vraie scène du monde moderne est celle de l’hôpital.

Le talent de Fanny Desarzens se démontre par sa manière de produire un texte très littéraire dans un style non travaillé. L’écriture s’impose à elle dans sa forme la plus brute pour un résultat graphique; l’autrice est diplômée d’une haute école d’art écrit comme un peintre dessine : 

« C’est le relief de la roche qui trompe un peu. Parce que la pente est un gros tas de cailloux. C’est un amas de différents gris et de différents bleus. Comme ça on dirait une espèce de grande cascade et juste avant on était sur le rivage. Ca fait qu’ils quittent lentement l’étendue de vert, le parterre de roses des Alpes et les buissons de myrtilles. Ils s’éloignent de l’herbe et surtout des arbres. Là, plus on avance et moins on trouve d’arolles, de sapins ou de mélèzes. Alors c’est comme si on entre dans un autre territoire et cette contrée c’est celle de la rocaille. »

J’interprète le récit le Galel comme un processus artistique, un art visuel où les mots s’imposent à nous pour décrire une réalité palpable. La montagne, l’homme ne peut pas la changer, elle est plus forte que nous. Elle s’impose à nous et nous devons faire avec, au mieux la contempler. La décrire avec des mots simples comme la vie auprès d’elle.

Qu’il s’agisse de s’évader dans un récit bien de chez nous, ou d’opter pour une lecture analytique en saisissant les symboles bibliques en filigrane, Galel vaut la peine d’être lu.