Ouvrages de chroniques de la Suisse romande

Ouvrages de chroniques de la Suisse romande

Béatrice Guelpa :
« Chez le véto »

Le mot de l’éditeur :

« Chez le véto évoque des histoires de bobo, d’angoisse en attendant un diagnostic, ou de chagrin, lors qu’un compagnon de route s’en va. Mais aussi des récits drôles, tendres, de petits soucis à résoudre, de naissance, de guérison et de gratitude. »

Imaginez une journaliste qui d’usuel parcourt le monde pour ses reportages, confinée volontairement dans la salle d’attente d’un cabinet de vétérinaire. Juste pour saisir la poésie de l’ordinaire entretenue dans ces lieux un peu à l’écart du monde. Ces lieux où Whisky, Sydney, Pouf et Caroline se retrouvent pour de bons soins. 

Ils ont quatre pattes, parfois deux, un museau ou un bec, des poils ou des plumes, le sang chaud ou froid. Chats, chiens, pigeons, tortues, salamandres… Ils en sont à l’aube de leur vie, en quête d’une nouvelle santé ou sur le point de s’en aller. Leur point commun, c’est un maître suffisamment humain pour les amener chez le docteur quand ils souffrent.

De la petite grand-mère avec son bichon pour seule compagnie au collectionneur de perroquets un peu marginal, la salle d’attente du véto a été jugée suffisamment cosmopolite par la journaliste pour avoir envie de  s’y attarder, des jours durant. Béatrice Guelpa s’assied sur le banc et au lieu d’attendre son rendez-vous, y croque des plages de vie. Et retrace avec une plume fraîche les aventures de ces quatre murs.

Le lecteur ami de bêtes passera par toutes les émotions à travers ces pages, jusqu’à conclure que la relation de l’homme à l’animal est, curieusement, un miroir sans pareil de la nature humaine. 

Et pour ma part, je suis toujours pleine d’espoir en sortant de chez le véto. À voir ces professionnels, surmenés sans doute, sous-payés sûrement, se démener pour la préservation d’une petite boule de poils, d’un petit bout de vie. 

« Chez le véto », publié en 2020 aux Editions Favre, est un ouvrage de chroniques vite lu et divertissant nous rappelant les étincelles à capter dans les moments les plus simples. 

Editions Favre, 2020, Lausanne.

Angélique Eggenschwiler :
« Chroniques en Liberté »

Le mot de l’éditeur :

« Angélique Eggenschwiler s’invite chez le lecteur, parle de rien et presque tout, unit quotidien et poésie, est notre voisine de palier, sans jamais tomber dans la banalité. C’est qu’elle est forte our pour glisser quelques vérités, mettre à nu nos paradoxes. Elle fait sentir tout le poids et la légèreté de la vie dans ces tableaux minuscules, ces chroniques du monde mais quelque manière hors du monde, lovée comme elles sont au creux de l’âme, de ses tourments, de ses questionnements, mais de ses joies aussi. »

Les Fribourgeois ont en moyenne deux rencards avec elle par semaine, sur la Der de la Liberté. Depuis un bout de temps, qui plus est, parce que la trentenaire qu’elle est aujourd’hui nous raconte dans ce livre le passage difficile des vingt-six ans. Angélique est diplômée en anthropologie, écrivaine et chroniqueuse. Elle est aussi cynique, nostalgique et un peu chiante, à énumérer ses colères et révoltes, comme si les tracas de sa vie quotidienne nous intéressaient… Mais justement, ça nous intéresse. 

Sa plume espiègle, son sixième degré et sa manière de faire le tour de la question en quelques lignes malgré une maîtrise aguerrie de la langue, c’est sans doute le secret de sa longévité. De quoi mettre tout le monde d’accord (même la droite conservatrice ?)

Dans ce recueil de chroniques, le lecteur retrouve un large éventail de ses publications parues dans le grand quotidien, classées en catégories évocatrices : « d’abord », « ensuite », « autour », « par ailleurs », « à propos », « mais encore », « en fin de compte ». Entre ses titres, les préoccupations d’une jeune étudiante de notre temps, décriant les injonctions imposées aux femmes, le fanatisme religieux, la hausse du coût de la vie, l’obligation morale d’avoir un smartphone ou le final de Game of Thrones. Oscillant des grands sujets de société aux portraits de ceux qui ont marqué son court passage sur terre – sa mère, son grand-père, Nietzsche ou son bouvier bernois. 

En sus, le recueil nous offre le luxe de renoncer à attendre sur le porteur de la Liberté pour découvrir la chronique suivante. 

Les Editions de l’Hèbe, 2019, Charmey.

Connemara – Nicolas Mathieu

Connemara – Nicolas Mathieu

« Hélène était pleine de ce temps compté, de ces bouts de quotidien qui composaient le casse-tête de sa vie. Par moments, elle repensait à son adolescence, les flemmes autorisées d’à quinze ans, les indolences du dimanche, et plus tard les lendemains de cuite à glander. Cette période engloutie qui avait tellement duré et semblait rétrospectivement si brève. Sa mère l’enguirlandait alors parce qu’elle passait des heures à s’étirer dans son lit au lieu de profiter du soleil dehors ». 

« Puis à quarante ans pour finir, un soir de réveillon après avoir déposé le petit chez sa mère, la voix qui scande autour des lacs, c’est pour les vivants, et lui tout seul au volant, ne sachant même pas où dîner ni avec qui, en être là au bout du compte, le cheveux plus rare et sa chemise serrée à la taille, surpris de cette sagesse de vieillard qui, à l’improviste, sur cette chanson roulant son héroïsme de prospectus, le cueillant dans une bagnole qui n’était même pas la sienne. »

Après « 4-2 pour Ambrì », je poursuis complètement par hasard dans les ouvrages sur le hockey-sur-glace et la vie des régions périphériques. « Connemara » évoque les vallées d’Irlande, transposée dans le décor grisâtre d’une ville périphérique de l’Est de la France. Ainsi, le Connemara de Nicolas Mathieu n’est pas un lieu géographique, mais un refuge temporel. Une ode à ces soirées de jeunesse insouciantes où les protagonistes, deux quadragénaires nostalgiques des opportunités gâchées, chantent Sardou et rêvent que tout est encore possible. 

Il y a Hélène, deux enfants, une carrière dans la finance. Elle n’a pas assez de temps pour dépenser son argent et s’inspire de la liberté de sa jeune stagiaire pour retrouver la sienne. Issue d’un milieu modeste, elle a bûché pour en sortir, ignorant à présent si le fruit de ses efforts en vaut la chandelle. 

Un jour, elle retrouve Christophe, confiné dans une bourgade fictive du Grand Est qu’il n’a jamais quittée. Entre son père qui perd la tête et son ex qui lui fait des misères, il s’accroche à son passé glorieux de hockeyeur, à l’amour de son fils et aux amitiés infaillibles  pour avancer.

Nicolas Mathieu est titulaire du Prix Goncourt 2018. Auteur éminent de la littérature française contemporaine, il excelle dans les portraits de personnages réalistes, riches de leurs faiblesses et contradictions. La France qu’il dépeint dans ses romans est ouvrière, rurale, portée par le poids des traditions. Dans «Connemara », il crée la petite ville de Cornécourt. Population vieillissante, électorat de droite. Pas si distincte de certaines de nos bourgades helvétiques où ils ne passent pas grand chose, excepté autour de la patinoire en hiver.

L’histoire d’amour prévisible entre Hélène et Christophe se déploie devant nous, par le biais d’un langage truffé d’idiomes populaires conférant au récit des airs d’oralité. La narration varie les temporalités, entre le présent morne et la jeunesse idéalisée. C’est avec une habilité admirable que l’auteur se glisse dans la peau d’une petite Hélène de treize ans, en guerre avec la banalité de sa famille, qui dévore en cachette le journal secret de sa copine. L’adolescente est embarrassée par ses origines modestes et déterminée à montrer à ses parents, par contradition, qu’elle peut faire mieux qu’eux.

Christophe représente l’amour désiré -celui qui lui, autrefois, a préféré sa copine plus populaire, plus riche. Sa conquête est une manière de rattraper les failles du passé, un retour vers ce qu’elle a souhaité fuir. Ou ce besoin imperceptible de confirmer la supériorité de la caste qu’elle a ralliée, à force de travail, de diplômes et de quelques renoncements.

Le livre est une sorte d’anthropologie de la France périphérique avec l’opportunité, pour les lecteurs, de retrouver un peu d’eux-mêmes dans chacun des personnages. 

2022. Editions Actes Sud pour l’édition brochée, 400 pages.