Ecouter et lire…. Les deux termes ne se retrouvent pas dans le dictionnaire des synonymes…
Et pourtant… En tant que travailleuse sociale, l’écoute fait partie de mon quotidien et dans tous les sens du terme, c’est mon métier qui m’a conduite aux livres audios.
De un, parce que bon, j’ai l’habitude d’écouter. Même si mon mari dit parfois le contraire.
De deux, parce qu’à l’époque, je travaillais dans une institution avec des personnes en situation de handicap non-verbales et une collègue juste géniale, pleine d’initiatives pour égayer l’endroit -qui franchement ne ressemblait pas à EuropaPark-, avait acheté des tas de livres audio à un résident atteint d’autisme, partant du stipulas qu’il s’intéressait beaucoup à la période de la lutte pour les droits civiques ainsi qu’à l’histoire des Etats-Unis en général. Je n’ai pas vérifié l’info, j’ai juste pensé que ça tombait bien, parce que moi aussi. J’ai demandé si je pouvais emprunter un ou deux « livres » pour mes longs trajets en voiture et j’ai commencé par « La vérité sur l’affaire Harry Québert » de Joël Dicker.
On peut dire ce qu’on veut du style de l’auteur genevois, l’intrigue parfaitement construite de ce pavé de 600 pages a été dévoré en deux à trois semaines de trajets, et je trouvais assez cool d’avancer dans mes lectures à 5h45 du matin, entre deux tronçons d’autoroute. J’en étais arrivée à me réjouir d’aller travailler pour découvrir qui a tué Nola.
J’ai poursuivi avec « L’Elegance du hérisson » de Muriel Barbery, Prix des libraires 2007, hors-thème droits civiques je vous l’accorde, mais porteur d’espoir : la vieille concierge d’un immeuble guindé parisien, de par son goût des lettres et de la culture, aide une jeune fille HPI de douze ans à échapper au « bocal à poisson » représentant les normes sociales de sa famille bourgeoise.
Puis « La Couleur des sentiments », de Kathryn Stockett (« The Help » en V.O.), qui a engendré un film à succès du même nom. Dans ce roman social des années 1960, les domestiques de couleur d’une petite bourgade du Sud des Etats-Unis (style Wisteria Lane 40 ans avant Gabrielle Solis) racontent leur rôle de mère de substitution pour les enfants dont elles s’occupent, tout en utilisant les toilettes du fond du jardin afin de respecter la ségrégation. En livre audio, c’était assez génial. Le fait d’avoir une voix différente pour chacune des narratrices, avec le soin de l’accent propre à la classe sociale du personnage, m’a fait prendre conscience de l’avantage indéniable d’écouter les histoires : elles sont rendues vivantes par le travail fastidieux des acteurs. (Je me disais d’ailleurs que ça devait passer long, pour eux, les journées de job à s’écouter lire pour gagner moins qu’à la télé.)
Est-ce que le fait d’avoir une bonne oreille comme on me le dit parfois aide à apprécier ce support de lecture inédit ? Le visuel, je le passe facilement outre. Aussi parce que je suis dans la lune, et que je survole certaines scènes de vie sans aucune attention aux détails, d’où des questions bêtes du genre « tu avais déjà remarqué qu’il y avait une épicerie juste en face de notre immeuble? ». Et franchement, les bouquins lus il y a plusieurs années, aussi passionnants soient-ils, j’en oublie vite l’intrigue (ce qui m’a permis de relire plusieurs fois tous les Harry Potter sans m’ennuyer, je ne me souvenais plus que Dobby était l’elfe de maison des Malfoy ni pourquoi Rogue avait accepté de tuer Dumbledore). Tandis que pour chacun de mes livres audio, j’imprime dans ma mémoire le caractère des personnages, quelques citations percutantes, ainsi que l’anxiété délicieuse du lecteur en transe à l’idée de découvrir la suite de l’intrigue.
Dernier grand avantage : les livres audio sont une manière de supporter un peu mieux le temps à consacrer aux tâches ingrates. Lorsque les mains dans la terre et le dos courbé, j’ôte les mauvaises herbes du jardin, je lis. Je me plains donc un peu moins.
Il est toutefois plus difficile de persévérer dans l’écoute d’un livre dont je ne croche pas sur l’intrigue, car la lecture au sens propre nous permet de balayer le texte des yeux en passant rapidement les pages (je sais, certains vont trouver que c’est du blasphème) tandis que l’audio nous confine à la vitesse de lecture du récitant. A noter que certains timbres de voix peuvent paraitre plus agaçants que d’autres : découvrir un livre audio, c’est en effet accepter un intermédiaire entre nous et l’auteur. On peut avoir le feeling avec lui, ou pas. La plupart du temps, cet intermédiaire, comme déjà mentionné, donne de la vie au récit. J’y ai même retrouvé certaines voix connues, par exemple d’acteurs spécialisés dans le doublage (ce qui suivant le personnage peut me rendre passablement enthousiaste, « incroyable, la lectrice a la même voix que Buffy! ») Il y a toutefois certains tons ou rythmes de lecture qui m’ont fait l’effet d’une douche froide après achat. Après, on s’y habitue ou non. Dès lors, je propose toujours d’écouter un extrait du livre avant acquisition -la plupart des plateformes l’autorisent.
Pour terminer, voici les comptes-rendus des derniers livres audios de ma liste :
Jean-Paul Dubois : Une vie française (11h d’écoute). Editions du Seuil, 2005.
Le narrateur Paul Blick, français moyen d’une famille à tendance conservatrice qui devient journaliste puis photographe, retrace son parcours des années 1950 à nos jours. Les chapitres portent le nom des divers présidents de la République, de Charles de Gaulle à Jacques Chirac. Paul grandit dans l’ombre de son frère, décédé durant l’enfance. Il raconte son choix de carrière, son mariage avec une femme d’affaires et sa relation avec ses enfants. Derrière les scènes du quotidien, les grands événements de l’histoire, en toile de fond : l’assassinat de Kennedy, les années Mitterand, en passant par la mort de Franco. A conseiller aux amateurs des sagas familiales et récits historiques qui tolèrent une intrigue reposant sur le quotidien plutôt que l’extraordinaire, même si la narration n’est pas dénuée de rebondissement. Pour moi qui me reconnait davantage dans les personnages féminins, j’ai tiré la langue sur certains passages un peu longuets durant lesquelles l’écoute était un bon exercice de concentration.
Delphine de Vigan, Les enfants sont rois (11 heures d’écoute). Gallimard, 2021
Si comme moi, vous étiez ado à l’époque où Loana et Jean-Edouard se sont embrassés dans la piscine du Loft, vous crocherez déjà au premier chapitre des Enfants sont rois, qui commence par la finale de cette émission révolutionnant la télévision française. Et si depuis, vous avez suivi avec intérêt la manière dont les stars de la téléréalité se sont faites détrôner par des gamines de quatorze ans qui se maquillent sur Instagram, vous allez adorer le reste de cette critique sociale déguisée en intrigue policière. Delphine de Vigan annonce la couleur en préface: : « nous avions l’opportunité de changer le monde, mais nous avons préféré le téléachat. » Mélanie Clot, fille quelconque maltraitée par sa mère et fan incontestable de télévision, accède à la reconnaissance en transformant ses progénitures en enfants-stars de Youtube. Acteurs de leur propre chaîne « Happy Récré », les gamins se plient à plusieurs heures de tournage par semaine, instrumentalisés par des parents convaincus de leur vendre du rêve. Jusqu’à ce que Mélanie appelle la police, un banal soir de semaine, pour dénoncer l’enlèvement de sa cadette dans le jardin de leur propriété. Son personnage se confronte alors à la figure de Clara Roussel, policière en charge de l’affaire, activiste engagée, qui découvre avec effroi ce monde de paillette privant les gosses d’une enfance normale. Clara qui, par ses idéaux militants et son métier, cultive l’impression désolante de ne pas vraiment faire partie du monde. A nouveau, De Vigan aborde sous un autre jour sa thématique de prédilection, à savoir les frontières mouvantes entre le réel et la fiction. Et propose un dénouement possible à cette société du spectacle -le roman se termine en 2030. Le futur lui donnera raison, ou pas.
Olivia de Lamberterie, Comment font les gens?. (5h d’écoute). 2022, Ed. Stock.
Anna a 50 ans, un job d’éditrice à honorer, deux filles adolescentes dont le quotidien se dépeint sur l’écran d’un Smartphone, un mariage a priori solide mais cela reste à vérifier, une aînée féministe radicale qui a quelque chose d’important à lui annoncer et une mère qui perd la boule dans une maison de retraite. Dans un contexte de crise sanitaire, elle nous livre une journée de la course contre la montre qui définit son existence. « Anna a tout, sauf du temps ».
Qu’est-ce qui dérobe son temps ? Les sonneries What’s app, principalement. Il y a les groupes de parents d’élèves, les groupes des anciennes de la fac, les messages de détresse à son assistante en congé maternité depuis bientôt deux ans. Ensuite viennent les emails autoritaires de sa cheffe, éditant des biographies d’influenceuses qui racontent en 300 pages les bienfaits de manger vegan. Finalement les téléphones alarmistes des infirmières de l’EPAD qui la réclament pour remettre sa mère dans son lit.
Au milieu de cette course, Anna se demande comment font les gens. Comment elle a fait jusque là.
Alors elle se souvient. La maladie de sa mère la ramène à la fragilité de l’existence. Une mère sortie d’un conte féministe, qui militait en faveur de. En faveur de l’égalité des salaires, en faveur de la pilule. Les revendications des femmes en 2020, c’est d’être contre. Anna est surtout contre les injonctions transformant toute cinquantenaire refusant l’antirides en vestige d’un autre monde.
Comment font les gens est un roman sur la charge mentale au ton léger, cela sans basculer dans la chick-lit vide de sens ni faire la part belle aux stéréotypes -j’ai bien aimé ce livre.
Rebecca Lighieri, Il est des hommes qui se perdront toujours. (8h d’écoute). Editions Folio, 2021.
« L’espérance de vie de l’amour, c’est huit ans. Pour la haine, comptez plutôt vingt. La seule chose qui dure toujours, c’est l’enfance, quand elle s’est mal passée. »
Rebecca Lighieri, c’est un pseudonyme. L’auteure admet dans une interview que publier sous un nom d’emprunt lui confère davantage de liberté pour narrer la cruauté de la vie. « Il est des hommes qui se perdront toujours » est un roman noir dans lequel Karel, jeune des quartiers nord de Marseille, raconte qui a tué son père. Un père tyrannique, héroïnomane, et presque son homonyme. Les trois enfants de Karl grandissent au milieu de ses colères et humiliations, en particulier le jeune Mohand, légèrement handicapé. Karel raconte que la pire scène de son enfance est celle où il craint que son père ne le balance littéralement par la fenêtre.
La fratrie tente toutefois de grandir et d’avancer, feignant d’ignorer la fracture sociale qui sépare les cités du Nord de l’existence paisible des bourgeois autour du port. La soeur use de son physique avantageux pour percer dans le cinéma et Karel se fait une place auprès du clan de gitans du Passage 50, qui lui sert de famille adoptive. Il trace sa route avec, en suspens, cette question au bout des lèvres : est-ce que je suis condamné à reproduire la violence de mon père ?
Au-delà des enjeux intergénérationnel, Lighieri interroge aussi la profonde division de la société française des années 1990 où certains quartiers laissés à l’abandon ne fonctionnent que selon leurs propres lois. Une écoute percutante. Pour moi, l’une des meilleures de l’année.