« Il faut faire ce que la vie t’a appris à faire. Si t’es encore très jeune, à la rigueur, tu peux peut-être encore changer de route. Mais à un moment donné, il faut s’arrêter et se dire : bon, ça je suis capable de le faire, pas ça. Et je me suis demandé : de quoi je suis capable, moi ? Moi, je sais vivre en montagne. Qu’on me mette là-haut tout seul, et tu verras que je m’en sors. C’est pas rien quand même, non? Eh bien il m’a fallu attendre quarante ans avvant de comprendre que ça n’était pas donné à tout le monde. »

Le romancier italien délivre ici, dans une prose sobre et authentique, un livre à mi-chemin entre le récit d’initiation et le roman familial. Pietro vit en ville, dans l’Italie des années 70 ; son père est originaire du Val d’Aoste. Chaque été, la famille retrouve la vie sauvage à Grana, une bourgade au pied des montagnes, où le jeune garçon fait la connaissance de Bruno, un gamin de son âge qui réside dans ce village coupé du monde à l’année. Ce compagnon de jeu va peu à l’école mais travaille dehors, dans les champs. Le père de Pietro le considère comme un second fils, retrouvant en lui les qualités qui semblent manquer à son enfant, tel que le pied montagnard. Avec le temps, la relation entre Pietro et la figure paternelle se dégrade : d’humeur noire dans la froideur de la ville où il travaille comme ouvrier, le père retrouve sa joie de vivre à Grana. Pietro s’en veut de ne pas satisfaire ses attentes.

L’amitié sans faille des deux enfants est elle-aussi chahutée par l’éternel dilemme entre civilisation et vie sauvage. Adolescent, Pietro intègre l’université en mathématiques. Sa mère offre à Bruno une chance de les rejoindre en ville pour parfaire son éducation mais le jeune montagnard s’y refuse fermement, apprenant le métier de maçon dans son village. Il tient fermement à son mode de vie et tente de gagner sa vie en fabriquant du fromage d’alpage. Pietro, de son côté, part découvrir les montagnes à l’autre bout du monde et se lance dans la réalisation de documentaires. 

Après des années de silence, les deux hommes reprennent leur amitié là où ils l’ont laissé après le décès du père, en oeuvrant à la construction d’un chalet d’alpage au milieu de la nature brute. 

Ce roman simple et émouvant aborde des thématiques universelles – l’héritage familiale, l’amitié, la mort –  dans un décor authentique où la relation des deux hommes avec la montagne, troisième protagoniste de l’histoire, se dresse en fil rouge. Pour Pietro, elle est un refuge, un échappatoire lorsque la vie normale se fait oppressante. Pour Bruno, elle est à la fois sa raison de vivre et sa perte, car il ne sait être autre chose que montagnard. Or la nature soumet à l’homme ses propres lois. Pour y vivre, il faut travailler dur et accepter de maigres rendements. 

Au final, l’auteur soulève une question que beaucoup se posent dans notre société urbaine et mondialisée : un retour aux choses les plus simples est-il souhaitable ? Et de cette médaille, qu’en serait le revers ? Les huit montagnes a été adaptée au cinéma en 2022, un joli film très fidèle au scénario du livre que j’ai aimé découvrir. Je l’ai acheté par amour pour la montagne et je le referme conquise par l’auteur.

Titre original : Le otto montagne. 2016. Traduction : Edition Ookilus, 2018.