» Qui a tué Marc Volentauer ? Nicolas Feuz, qui a interrompu brièvement ses dédicaces pour aller boire un café au soleil, pense avoir eu une hallucination. C’est pourtant bien ce qu’il a parvenu à lire furtivement en passant devant l’espace où dédicace Marie-Christine Horn. Le manuscrit vient tout juste d’être déposé sur la table par son éditeur, et avant qu’elle ait eu le temps de l’attraper et de le glisser dans son sac Nicolas en a lu le titre et a pâli. Sa mâchoire inférieure, comme dans un Tex Avery, s’est décrochée sous l’effet de la surprise qui l’a stoppé net dans son élan au beau milieu de la tente, à cinq ou six mètres de moi. La romancière n’y a pas prêté attention, tout comme la très grande majorité de l’assemblée qui papillonne de livre en livre. S’il était rentré de sa pause une minute avant ou une minute après, cette histoire eût été différente. «
Evénement clé du monde littéraire romand, le Livre sur les quais de Morges réunit chaque année nombre d’auteurs à succès présentant leurs oeuvres au grand public. C’est dans ce contexte que Xavier Michel, lui-même présent à l’édition 2019, assassine le maître incontesté du polar du terroir (avec son accord, cela est spécifié en dernière page), délivrant ainsi un récit de genre tout à fait inédit (pour moi), le thriller… parodique.
Le narrateur de cette intrigue policière à prendre au cinquième degré est donc l’auteur même, qui suit discrètement les aventures de l’inspecteur de police Philibert Ramuz alors qu’il enquête sur le meurtre de Marc Voltenauer, retrouvé assassiné dans le Léman lors du week-end du Livre sur les quais. La page d’un manuscrit non identifié a été enfoncée dans la trachée de la victime.
Vaudois de la Côte un peu bedonnant, l’inspecteur Ramuz se targue d’être l’arrière-petit-neveu du célèbre auteur éponyme de « La Grande Peur dans la Montagne ». Ainsi, accompagnée de sa collègue Greta Palud, il recherche « qui a tué Marc Voltenauer? » -référence au titre de l’auteur en question « Mais qui a tué Heidi? ». L’interrogatoire des grands auteurs présent à l’événement de Morges est par ailleurs l’occasion pour cet amoureux des livres d’obtenir des dédicaces personnalisées de la part de ses prévenus.
L’enquête se déroule, en accéléré, sur un week-end, alors que l’événement du Livre sur les quais se poursuit en dépit des circonstances tragiques. Nombre d’écrivains cotés de la littérature romande et francophone apparaissent parmi les protagonistes de cette parodie, notamment le procureur Nicolas Feuz et Marie-Christine Horn, chacun-e auteurs de l’ombre d’un manuscrit en cours de parution s’intitulant justement « Mais qui a tué Marc Voltenauer? », dont les faits relatés s’apparentent étrangement aux circonstances exactes de ce meurtre. Nous apprenons également, au fil du texte, que le célèbre auteur de polars vient de rompre son contrat avec sa maison d’édition mère, alors qu’il s’apprête à encaisser un joli pactole pour les droits cinématographiques de l’un de ses livres. Il s’avère également que l’auteur n’écrirait lui-même pas plus du quart de ses romans, utilisant un nègre en la présence de Guillaume Rihs. Celui-ci travaillerait d’ailleurs également pour le compte de Nicolas Feuz…
Au niveau du contenu et de l’histoire, la plume de l’auteur est fraîche, sans fioriture, et pleine d’humour. Je n’ai pas trop à dire niveau interprétation, parce que je dois admettre que les 160 pages ont été parcourues sans grand enthousiaste au niveau de l’intrigue. Bon, d’abord parce que je ne suis pas une férue de polars, même si les aventures de l’inspecteur Auer créées par la victime du présent titre m’ont tenues en alerte à chaque nouvelle publication -une sorte d’exception qui confirme la règle. Deuxièmement, car le genre parodique ne fait pas l’unanimité dans ma bibliothèque. J’avoue : j’assimile le deuxième, troisième voire cinquième degré davantage aux médias audiovisuels. Et je suis la première à défendre qu’on peut rire de tout -quoi que peut-être pas avec tout le monde. Toutefois, je ne peux pas m’empêcher de considérer la littérature comme le genre de prédilection pour aborder les grandes thématiques universelles de manière la plus sérieuse qu’il soit, et par conséquent j’aime les livres qui font frissonner, pleurer, réfléchir pour la énième fois sur le sens de la vie. En bref, je ne suis pas entrée dans le délire de l’auteur.
Toutefois…. nous ne pouvons que saluer l’idée originale de Xavier Michel qui rend ici un hommage inédit à la littérature romande! Qu’il s’agisse des auteurs, des éditeurs ou des événements, le bouquin est à recommander à toute personne cherchant un bon divertissement permettant d’élargir leur culture littéraire suisse. J’ai d’ailleurs longtemps négligé les auteurs de mon petit coin de pays (ce blog est-il un moment d’y remédier?), et une part de moi est toujours surprise de constater à quel point notre terroir dispose d’une production littéraire florissante lorsque l’on prend le temps de s’y intéresser, même si nos voisins français et leurs maisons d’éditions fonctionnant comme des machines à best-seller nous font constamment de l’ombre. D’autant qu’il faut le dire ; nous autres romans sommes enclavés dans un Etat fédéral bougrement plus généreux lorsqu’il s’agit de sauver Crédit suisse que la Culture.
Alors, grâce à ce livre, j’ai déjà bloqué la prochaine date de l’édition du Livre sur les quais et j’espère y trouver Voltenauer toujours en vie, pour qu’il me dédicace son prochain bouquin.
Editions Slatkine, 2022.