« Je voulais qu’il change. Qu’il s’en sorte. Qu’il arrête de voler et qu’il devienne champion olympique du 400 mètres. Je rêvais. Je refusais de voir une réalité que pourtant il ne me crachait pas. Je savais qu’à son arrivée à Réau, le gradé l’avait convoqué dans son bureau. Pour blaguer, il avait lancé : « Oh là là, planquez tout, voilà Coulibaly! ». Les surveillants avaient ri, Toumany s’était assis et le gradé avait déroulé son speech: « Vous avez du talent, vous êtes intelligent, vous n’avez rien à faire en prison, vous devriez être dehors à défendre la France dans les grandes compétitions… » et pendant qu’il parlait, Toumany passait son bureau en revue en se disant, il faut que je lui pique un truc. Vingt minutes plus tard, il avait une télécommande universelle dans la poche. Il n’avait aucune idée de ce qu’il allait en faire, elle ne lui servait à rien. Il a fini par la donner à un détenu qui en avait assez de se lever pour changer la chaîne sur sa télé. J’aurais pu en conclure qu’il était irrécupérable. Mais un camé doit toucher le fond pour rebondir. »
Il existe des livres absolument impossibles à lâcher, qui nous tiendraient éveillés la nuit. En exemple, le roman journalistique de Mathieu Palain, sur l’histoire incroyable mais vraie d’un sportif d’élite braqueur à ses heures perdues.
L’auteur est journaliste de formation et publie son premier roman Sale gosse en 2019 -un titre déjà immersif dans l’univers des banlieues françaises, dont il est issu. Attiré, dans ses reportages, par la thématique du milieu carcéral, il est également sportif amateur, passionné de football. Lorsqu’il apprend que Toumany Coulibaly, l’un des meilleurs espoirs de l’équipe de France de sprint, purge une peine de 30 mois pour vols et braquages avec récidive à la prison de Réau, il lui écrit un courrier, par hasard. Lui proposant une rencontre, afin de comprendre son histoire.
Au fondement de son interrogation, le paradoxe de combiner des entraînements requérant une discipline sans faille et une volonté de fer dans l’une des spécialités les plus exigeantes de l’athlétisme -le 400 mètres- avec une forme de kleptomanie avérée. Alors que des milliers d’espoirs brigueraient la place et le talent de Toumany, lui vend son rêve de médaille olympique pour poursuivre ses activités illégales.
Le roman commence par un entretien entre l’auteur et le détenu dans le décor glacial du parloir. Très vite, nous voilà immergés dans le récit de vie de ce jeune français d’origine malienne, issu de la deuxième France. Cette France des chansons de NTM; des communes où le taux de chômage dépasse les 50%. Où des familles migrantes composées de dizaines d’enfants s’entassent dans des cités-dortoirs.
Le père de Toumany se lève à 4 heures du matin pour travailler dans une boucherie halal. Il a deux épouses et dix-huit enfants. « Ceux qui marchent occupent le garage transformé en dortoir. Des lits superposés ont été poussés contre les murs, laissant un couloir de quarante centimètres pour circuler. » Il décide de renvoyer son fils Toumany dans sa famille au Mali alors que ce dernier, adolescent, se fait exclure de l’école sur un malentendu. Le jeune oeuvre alors pour revenir dans son pays et se retrouve même incarcéré quelques temps dans une prison de Bamako.
De retour en France, il se fait remarquer pour son don en sprint et rapidement, parcourt la fameuse distance du tour de piste en moins de 46 secondes (le record du monde est actuellement à 43’). Cela lui vaut le titre de champion de France en 2015, et une possibilité de concourir en Ligue de Diamant. La faille de ce récit extraordinaire réside dans la propension sans répit du protagoniste à dérober toutes sortes d’objets qui ne lui appartiennent pas. Sa mère dit, depuis son plus jeune âge, que son fils « a la main qui vole ». A l’âge adulte, il passe au second stade, celui des braquages à main armée.
Ainsi, l’enfance défavorisée de Toumany, combinée à une éducation laxiste et en prime, le traumatisme du transfert forcé dans un pays dont il ne parle pas la langue, pourraient servir d’excuse à justifier son profil de multirécidiviste. Toutefois, l’athlète cherche plus profondément en lui les réponses à l’éternel « pourquoi » de son comportement, question maintes et maintes fois explorée par ses amis, ses coachs, son épouse et plus tard Mathieu Palain. Tant de mains lui ont été tendues grâce à son statut de sprinteur d’élite… Un poste de comptable lui avait été proposé pour qu’il puisse subvenir à ses besoins. Et pourtant, le soir où il est censé fêté son titre de champion de France du 400 mètres dans l’insouciance, il se retrouve le visage masqué à braquer une pharmacie.
L’ouvrage est à la fois un roman de société, une réflexion sur la kleptomanie et une interrogation des frontières entre le bien et le mal. Surtout cette zone grise, dans laquelle se trouvent bien des détenus. Toumany s’est fait repéré par son profil atypique d’athlète, mais combien de profil similaire au sien se trouvent actuellement derrière les barreaux ? Ces jeunes de banlieue égarés, à la base pas des mauvais gars, mais tentés d’enfreindre la loi, pour des histoires de manque d’argent, d’influences. D’un besoin impérieux d’adrénaline, parfois. Mathieu Palain interroge également, au fil du récit, le pourquoi de son intérêt récurrent pour l’univers carcéral dans ses reportages. Il remonte pour cela à son enfance et son amitié avec une jeune femme basque impliquée dans des actes terroristes indépendantistes, purgeant une longue peine dans une prison pour femmes.
Le roman dépeint également le quotidien des sportifs de haut niveau dans un milieu qui ne génère pas d’argent; alors que des Kilian M’Bappé se retrouvent multimillionnaires avant 18 ans, les sprinteurs doivent eux avancer l’argent pour tout. Les camps d’entraînement, les billets d’avion pour la Diamond League, les nuits d’hôtel avant les compétitions… Trop fier pour admettre qu’il n’a pas de moyens, Toumany dort dans sa voiture, et le lendemain, court le 400 mètres dans des chronos affolants.
En fil rouge, nous trouvons aussi la relation d’amitié qui se noue entre l’auteur et l’athlète, d’autant que les avocats de Toumany la considèrent d’un mauvais oeil. Mathieu souhaite à tout prix que le sprinteur s’en sorte, ne récidive pas. Le lecteur aussi. C’est cet espoir de rédemption qui rend le roman si prenant et palpitant. A tout moment, on espère voir ce jeune talent se ranger, sortir, renouer avec ses rêves de médaille. Est-ce là le dénouement final du livre ? Pour le savoir, je ne peux que vous conseiller de le lire de toute urgence.
2021, Editions de l’Iconoclaste