« L’écriture est discipline. Elle est renoncement au bonheur, aux joies du quotidien. On ne peut chercher à guérir ou à se consoler. On doit au contraire cultiver ses chagrins comme les laborantins cultivent des bactéries dans des bocaux de verre. Il faut rouvrir ses cicatrices, remuer les souvenirs, raviver les hontes et les vieux sanglots. Pour écrire, il faut se refuser aux autres, leur refuser votre présence, votre tendresse, décevoir vos amis et vos enfants. »

Leïla Slimani jouit d’une grande notoriété parmi les auteurs francophones depuis son prix Goncourt avec « Chanson douce ». Elle publie ici un témoignage inspiré de son expérience de l’écriture, à la fois livre de souvenirs et réflexion sur le processus créatif. 

L’auteure est en panne d’inspiration lorsqu’on lui propose de passer la nuit dans un musée vénitien afin d’en tirer une chronique. Elle se prête à l’expérience ; vit cet enfermement comme une opportunité dont elle n’est pas certaine de saisir les contours. Le lecteur est happé dans son errance alors qu’elle divague parmi les tableaux, parmi les souvenirs. Elle parle de son rapport à l’art, à la culture. Des contradictions qui l’habitent, elle l’immigrée du Maghreb qui a fait de la double appartenance le thème de nombre de ses livres. En effet, Leïla s’enferme dans un musée pour laisser une trace de cette expérience au monde; elle s’interroge alors sur la dichotomie entre le dehors et le dedans, ou manière d’aimer son pays d’origine dans les souvenirs qu’elle y a laissés, depuis l’extérieur. Par ailleurs, de nombreuses références culturelles sont citées au fil du texte.

Ce livre court intéressera les amoureux du verbe pour qui la lecture ou l’écriture occupe une place privilégiée dans leur vie. La plume de Slimani est aussi belle que les oeuvres d’art qui l’entourent. En revanche, les lecteurs récréatifs trouveront peu d’intérêt à se lancer dans ce témoignage réflexif sur le sens profond d’écrire des livres. Et comme l’intrigue est absente, je préfère terminer cette chronique par des citations qui donneront le ton de cette tirade :

« Dans les années 1980, il n’y avait pas de musée à Rabat. Enfant, je n’ai jamais visité une exposition et le milieu de l’art me paraissait réservé à une élite, celle d’un autre mode. A cette époque, l’art était encore regardé à travers un prisme très occidental et ces peintres marocains que mes parents aimaient n’avaient pas la visibilité qu’ils ont acquise dans les années 2000, avec la vogue de l’art africain. »

« Je haïssais les clôtures, les portes ; frontières et murs m’offensaient. C’est ainsi que j’ai, moi aussi, toujours vécu. Dans ce balancement entre l’attrait du dehors et la sécurité du dedans, entre le désir de connaître, de me faire connaître et la tentation de me replier entièrement sur ma vie intérieure ».

« Un écrivain est maladivement attaché à ses peines, à ses cauchemars. Rien ne serait plus terrible que d’en être guéri. Parfois je me demande : si je devais choisir entre ta survie et l’écriture, qu’est-ce que je ferais ? Bien sûr, il faudrait dire : je préfererais n’avoir jamais écrit et que tu sois là et que nous n’ayons pas souffert. Mais je ne sais pas si je peux dire cela. Montherlant avait raison « Les écrivains sont des monstres. » Des vampires, sans foi ni loi. »

Editions Stock, 2021.