« Je reviens sur mes pas pour chiner dans le ventre d’une poubelle mes lendemains jetés aux fauves ; corrompus de deuil ils se consomment sur d’autres restes, tournés comme une brique de lait »

La jeune autrice connue du public fribourgeois avant tout pour ses chroniques à l’humour acerbe publiées dans le quotidien La Liberté délivre ici un premier roman à mi-chemin entre le recueil de nouvelles et la poésie en prose, fort de son talent pour dépeindre la réalité la plus crue par le biais d’un  langage tinté d’allégories ; « distillé comme une essence de térébenthine », comme l’énonce le résumé de l’éditeur.

Ce livre ne s’adresse pas aux adeptes de romans à suspense pleins de rebondissement mais touchera les amoureux du verbe, acceptant de se laisser porter par une écriture oscillant avec maîtrise entre sociologie du quotidien et énoncés surréalistes éloignés du sens littéral (« il avait des couilles et du verbe, des oiseaux plein les poches et des chevaux sur les doigts »). Angélique aborde dans ses quelque 170 pages des thématiques tantôt universelles -l’amour, la mort, le temps qui passe- que propre à notre époque -la condition de nos aînés en institution, les désordres alimentaires-, qu’elle narre à la manière d’un peintre impressionniste, par petites touches de couleur superposées sur une toile délicate : « deux anecdotes inédites sur le seuil d’une grande histoire ». Elle parle des problèmes du monde, elle parle surtout des gens. Ils s’appellent Franz, Garence, Camille et Philippe, ils existent en nous par quelques brefs paragraphes, courts mais percutants ; quelques émotions, quelques parties du corps. Et on s’imagine qu’on pourrait être eux.

Le livre, pour ma part, ne s’est pas lu d’une traite ; incapable de contenir mon envie d’interprétation des passages les moins explicites, je ne le classe pas dans les ouvrages permettant de s’évader ou mettre le cerveau sur pause. Car à travers les portraits de ces personnages maltraités par la vie, je voyais mon bureau, mon travail, ce lieu où je suis témoin des misères en direct. J’ai par ailleurs fermé le bouquin plutôt confortée dans ma vision pessimiste de la condition humaine. Mais surtout impressionnée par la maîtrise de la langue de la chroniqueuse, qui n’a que 23 ans au moment de la publication et démontre sans nulle doute un talent prometteur. Par chance on la retrouve chaque semaine dans La Lib’.

Editions de l’Hèbes, 2016.