Il n’avait pas pu, ce n’était pas que son corps refuse de la besogne, au contraire, mais Alexandre n’était pas un garçon de grange, d’oeufs, de de cornes, Alexandre n’était pas un garçon de marécage, de lisier, de grenouilles, Alexandre était un homme impatient dont les rêves dévorants dépassaient les contours du Paradis, et l’amour qu’il portait à Blanche, son amour d’adolescent, vif, éblouissant, ne suffisait pas à l’immobiliser en ces terres, près de ses pauvres parents, de leur maison étroite, près de la vieillesse d’Emilienne et du regard noir de Louis, près de la mélancolie quotidienne de Gabriel qu’il évitait à tout prix, craignant d’être contaminé par elle.

Dans un petit hameau paysan où le temps semble s’être arrêté, Emilienne élève seule ses deux petits-enfants, Blanche et Gabriel, qui ont perdu leurs parents dans un tragique accident. Elle loge également Louis, employé agricole et battu par son père, qui en grandissant n’est pas insensible au charme de Blanche. Tout ce petit monde oeuvre à faire tourner la ferme du Paradis ; le travail est ingrat parfois, le rendement maigre. Blanche n’a connu que cela, pourtant. Nourrir les porcs, mettre les mains dans la terre, écouter les conseils d’une grand-mère à la fois dure et affectueuse qui se bat au mieux contre le temps qui passe. L’arrivée d’Alexandre dans la vie de Blanche enfermera les protagonistes de cette existence étale dans une sorte de pièce de théâtre pleine de rebondissements où le tragique se laisse deviner, jamais loin, sur le seuil de la porte de la ferme.

 

L’autrice française à présent trentenaire a publié son premier roman à l’âge de 16 ans. Une bête au paradis est sa dernière publication en date, sorti en 2019 et honoré par le prix Littéraire du Monde. J’ai découvert Coulon dans un podcast… sur la course à pied, où elle étaye sur la manière dont les heures de running contribue à son inspiration littéraire. Une bête au paradis happera dès les premières pages les amoureux des histoires revisitant les grands thèmes universels -l’amour, la mort, la trahison et la vengeance- dans un décor a priori ordinaire.

« Au centre de la cour, un arbre centenaire, aux branches assez hautes pour y pendre un homme ou un pneu, arrose de son ombre le sol, si bien qu’en automne, lorsque Blanche sort de la maison pour faire le tour du domaine, la quantité de feuilles mortes et la profondeur du rouge qui les habille lui donnent l’impression d’avancer sur une terre qui aurait saigné toute la nuit. »

Le style de l’autrice est emprunt de symbolisme, de descriptions aux références noires, prémonitoires, tenant le lecteur en alerte. La violence inexorable des fermiers envers les bêtes, l’omniprésence du sang, la dépression de Blanche qui se mure dans sa chambre et avale les mouches : autant d’éléments brouillant les frontières entre l’humain et l’animal, transformant la petite ferme en décor d’une tragédie grecque. Blanche, malgré son amour vif, éperdu, envers Alexandre, ne peut considérer son existence loin de la terre, loin du Paradis. Un paradis qui avec le vieillissement des personnages, la dégradation de la situation paysanne face à l’ultra-modernité, la tristesse et la trahison, se mut en une sorte d’Enfer.

Le livre est un témoignage de la folie des hommes, de la dichotomie entre ville et campagne ; de la manière dont les douleurs à répétition nous poussent au pire. C’est un conte qui se lit vite, par impatience d’en connaitre la finalité. Qui peut faire pleurer et frissonner à la fois.

2019, Ed. Iconoclastes