« Les choses ont changé. A notre époque, si on aimait faire chier le monde, on faisait du X, mais aujourd’hui porter le voile suffit. »

Vernon a passé sa vie bercé par la musique, d’abord comme disquaire, puis chômeur, puis chômeur de longue durée. Puis plus rien. 

Sa solution de secours lorsque manque l’argent du loyer, c’est Alex, star du rock, qui vient de mourir dans sa baignoire. Le glas de l’expulsion a donc sonné et Vernon parcourt son répertoire à la recherche de son prochain plan d’hébergement. Son combat contre l’exclusion nous emmène de personnages en personnages à la découverte d’une société urbaine, plurielle et ultramoderne, marquée par les paradoxes de son époque. Les journées de Vernon sont grises -il marche, il erre, dans les lieux d’accueils informels de la capitale, les bibliothèques, l’Apple Store, à la recherche d’une barre de Wifi. Les nuits sont blanches, faites de musique, de poudre dans les narines ; d’âmes esseulées comme la sienne qui recherchent la prochaine distraction pour mieux supporter l’absurdité de l’existence. 

La trilogie la plus saluée par la critique de l’auteure féministe française démarre ainsi : sur la nouvelle vie d’un type normal qui bascule à force de coups du sort dans la précarité la plus extrême. A la base, j’étais bien partie pour adorer ce livre ; la thèse comme quoi tout en chacun, au détriment de ses ressources initiales, peut se retrouver du jour au lendemain sur les bancs de l’assistance, je la défends tous les jours au travail. Je me suis pourtant essoufflée au fil des chapitres, dû à la multitude de personages tous emprunts d’une négativité sans borne. 

Le premier livre de Despentes était « Baise-moi » ; un opus qui a défrayé la chronique, où elle confirme un talent de narratrice allant au-delà de la provoc’ d’aller le plus loin possible dans le trash pour tenir le lecteur en alterte. Je sais que l’écrivaine ose tout. Et nous emmène dans le monde qu’elle connait, celui de la nuit, du sexe et de la drogue, des chagrins qui se noient dans les verres. Vernon Subutex, c’est plus léger peut-être, mais pas moins triste. Les personnages que côtoient le protagoniste se passent la parole dans une cacophonie urbaine où l’être humain est présenté de manière vile, opportuniste et face à ses plus bas instincts. Le lecteur est confronté à tour de rôle, dans un langage très colloquial donc percutant, aux soliloques d’un scénariste d’extrême-droite, d’une vieille femme pleurant son fils toxicomane, d’une jeune fille basculant dans l’islam radical, d’une ancienne actrice porno trans, d’un auteur de violences conjugales, et j’en passe. L’espoir n’y apparait que par petites touches et au compte-gouttes. 

Ma déception de lectrice réside avant tout dans ce désir de savoir ce qu’il adviendra de ces destins encastrés dans un grand puzzle, dont on est loin de saisir les contours à l’issu du premier tome. L’écriture crue, vivante, s’imprime en nous. Elle nous introduit un personnage, et au moment où l’on commence enfin à le tenir en sympathie, vient le temps de le quitter. C’est ce qui a alourdi ma lecture ; c’est aussi ce qui me donne envie de persévérer. Avant de m’attaquer à la série TV du même nom.

Editions Grasset, 2015.