« Il faut surtout pas suivre les chemins tout tracés. C’est le meilleur moyen d’aller nulle part ! » 

Ce roman initiatique dépeint l’Amérique des années 1970 à l’époque de la guerre du Vietnam et du Flower Power. La narratrice, c’est Amy, quatorze ans, enfin treize et demi. En réalité, douze. 

Nous sommes en juillet 1973. Amy provient de l’univers whitetrash, la classe ouvrière blanche et pauvre, peu cultivée, qui maugrée sa colère du monde devant la télévision. Sa grande soeur Bonnie a pris le large l’année précédente pour tenter sa chance en tant que playmate à Los Angeles. Elle, en désaccord avec les idées de son père, rêve de se marier avec Ryan O’Neal et de soigner les baleines. Quand sa meilleure amie perd la vie dans un accident de la route, elle décide de s’en aller à son tour et de retrouver Bonnie dans la Mansion de Playboy. 

Dépouillée de son argent dès le premier trajet, l’enfant continue en stop, naïvement. Au fil de ses rencontres sur la route 66, c’est un panorama de l’Amérique des années 70 qui se déploie devant notre imagination de lecteur, tenu en alerte par l’attachement à cette héroïne dont le jeune âge est à la fois un fléau et une chance. Celle qui pourrait être victime attise l’empathie des routiers qui se relaient pour la rapprocher de sa destination. Non sans humour, car la gamine fait son chemin de mensonge en mensonge. 

Les auteurs ont publié précédemment Alabama 1963, roman à succès. Ils sont traducteurs pour le cinéma et spécialistes de la culture américaine. Ainsi, ceux qui ont connu les années hippies seront ravis de retrouver les références de la pop culture de l’époque, Bruce Springsteen dans son propre rôle, le patron de Playboy Hugh Hefner, Cher et le film Love story. Les auteurs ont attaché un soin particulier à vérifier les faits historiques de ce mois de juillet 1973 cités en trame de fond. Dans mon cas, peu de références connues, mais je me suis plu à comparer les thématiques de l’époque avec l’actualité ; sont abordés les débuts de l’écologie, du végétarisme, de la transsexualité. En principale dissonance, la question de la sexualisation du corps des femmes, aujourd’hui diabolisée, à l’époque érigée en modèle de révolte contre l’ordre établi. Et le patron de Playboy est une figure millitantiste progressiste, conspué par les milieux conservateurs plutôt que les féministes. 

Au-delà de servir la cause des nostalgiques de cette époque, l’intérêt de ce récit réside à mon sens dans le regard enfantin de la protagoniste, dont la candeur permet un détachement face au tragique. Le manque d’amour parental, la solitude et le deuil sont les thématiques en fil rouge. Mais à entendre Amy, il suffit d’un brin d’audace et d’une forte propension à mentir pour changer de vie. Le contexte historique plus permissif joue sans doute en sa faveur car de nos jours, on imagine très rapidement la police et les services sociaux à ses trousses. Quoi qu’il s’agisse peut-être de ma manière de transposer les dispositifs helvétiques dans le contexte Outre-Atlantique.

Finalement, ce road trip est aussi une sortie de l’enfance, avec en suspens la question qu’on pose à Amy sur la route : « est-ce que tu fuis, ou tu vas quelque part? ». Fuir le schéma parental, elle le souhaite pour sûr. Au fil du périple, elle découvre de nouveaux modèles dont elle peut choisir -ou non- de s’inspirer ; à Los Angeles, nous assistons à une cessation abrupte de l’idéalisation de ses idoles de petite fille, y compris la figure de la soeur, qu’elle s’acharne pourtant à retrouver.

Il s’agit finalement d’une jolie histoire, racontée sans fioriture, très accessible, imprégnée de candeur et de positivisme. Un bon divertissement.

Editions Pocket, 2023.