« Mi abuelo me contó que Clara se había desmayado el día que él, por darle un gusto, colocó de alfombra la piel del animal. Nos reímos hasta las lágrimas y decidimos ir a buscar al sótano los despojos del pobre Barrabás, soberbio en su indefinible constitución biológica, a pesar del transcurso del tiempo y al abandono, y ponerlo en el mismo lugar donde medio sigle antes lo puso mi abuelo en homenaje a la mujer que más amó en su vida ».

Je n’ai jamais étudié « La casa de los espíritus » lors de mes études, mais je l’ai découvert quelques années plus tard lorsque l’option de lire uniquement pour le plaisir était accessible. Pour ce livre, plaisir n’a été que le prénom. 

De toutes les œuvres de la littérature contemporaine sud-américaine parcourues à ce jour, celle de la chilienne Isabel Allende, ayant offert à l’autrice une reconnaissance internationale, est sans hésiter mon roman favori du réalisme magique… voire mon roman favori toutes catégories confondues (même si on entre sur un terrain dangereux avec ce genre de propos…. :)) 

Après le décès soudain de sa fiancée, Esteban Trueba, qui rêve de fortune en travaillant d’arrache-pied dans les mines, tente de surmonter son deuil en s’exilant à la campagne pour exploiter un domaine familial laissé à l’abandon depuis le décès de son père. A force de travail et d’autoritarisme, il parvient à faire prospérer la terre de Las Tres Marias. Quand il promet à sa mère sur son lit de mort qu’il va se marier, le destin la conduit à Clara, sœur cadette de sa défunte promise. 

Clara del Valle est une jeune fille un peu étrange, qui a passé sa jeunesse dans un mutisme volontaire. Pourvue d’un don de clairvoyance, elle fait voler des objets dans les airs, parle aux esprits et devine les événements du futur. Cette union improbable engendrera trois enfants aux destins divergents. Esteban, patriarche conservateur et patron irascible, demeure faible face aux femmes et particulièrement son épouse, très peu rattachée à tout ce qui a trait à l’existence matérielle. Clara attise le mauvais caractère de son mari par son investissement dans des œuvres de charité, ses réunions hebdomadaires avec un groupe de spiritisme et surtout, son incapacité à lui appartenir pleinement. Elle reste sur sa propre lune, figure mystérieuse qui fait s’effondrer des murs pour y découvrir des trésors. 

Dans la maison aux esprits, les années passent. Trois générations de femmes se croisent, dont le prénom évoquent la lumière : Clara, Blanca, Alba. Nous terminons avec cette dernière, sa révolte, les tortures subies pendant la guerre civile. Fille d’une famille riche, blanche et influente par sa mère, indigène par son père. Parce que la société change, que c’est possible. Et ce lien surprenant qui le lie à son grand-père pour boucler la boucle.

Isabel Allende est la nièce du président du même nom, déchu par le coup d’état de 1973. Elle a par conséquent fui son pays d’origine dès le début de la dictature de Pinochet ; c’est durant ses années d’exil au Vénézuela qu’elle commence le manuscrit de cette saga familiale dont les protagonistes sont directement inspirés de ses grands-parents. « La maison aux esprits » dresse ainsi un panorama de l’histoire contemporaine chilienne du début du XXème siècle aux années sombres de la dictature. Pourtant, l’autrice ne mentionne jamais le nom du pays dans lequel évoluent les personnages ; elle y dessine en revanche une nature à l’ombre de la Cordillère, la chaîne qui surplombe l’Amérique du Sud d’un bout à l’autre. Une manière, peut-être, de rappeler que toutes les anciennes colonies amenées à se forger une identité après l’indépendance espagnole auraient pu subir le destin chilien ? A moins qu’il ne s’agisse que d’autocensure parce que même en exil, il y avait lieu d’avoir peur.

La narration est fluide, sans fioriture et accessible ; les règles du réalisme magique parfaitement respectées, puisque les faits surnaturels s’immiscent dans la vie quotidienne avec un naturel pouvant déboussoler les lecteurs peu familiers du genre. Dans la maison de Clara, la mort fait partie de la vie et les morts se manifestent, parlent ; les corps se conservent. Lorsque la grand-mère perd la vie décapitée dans un accident, la jeune épouse sur le point de donner naissance à des jumeaux parcourt la jungle pour retrouver sa tête et la conserve dans la cave.

La voix de la narratrice est interrompue à intervalles réguliers par les divagations internes d’Esteban Trueba, une manière d’humaniser un personnage représenté avec ses faiblesses et ses failles : tantôt mari aimant et soutenant pour sa famille, tantôt propriétaire terrien intransigeant à l’égo démesuré, qui ne dédaigne pas à abuser des femmes indigènes pour son plaisir et combat d’une main de fer les idéaux révolutionnaires de ses employés. Jusqu’à user de la violence physique envers celui qui a pris le cœur de sa fille.

Etrangement, en refermant le livre, j’ai associé ce voyage dans le temps au film culte de Forrest Gump : à travers des personnages quelque peu atypiques et malmenés par la vie, la narratrice dépeint le panorama historique de toute une nation sur plusieurs générations.

Et pour terminer cette chronique, je cite les quelques vers de Pablo Neruba qui apparaissent en préface :

« ¿Cuánto vive el hombre, por fin?

¿Vive mil años o uno solo?

¿Vive una semana o varios siglos?

¿Por cuánto tiempo muere el hombre?

¿Qué quiere decir para siempre? »

 

Editions DeBolsillo. Primera edición 1982. Version française : Le Livre de Poche.