« Allez voir dans la bibliothèque du roumi, ça doit être écrit que c’est moi qui l’ai tué, c’est la preuve.

– Quelle bibliothèque ? elle a demandé.

– Sa bibliothèque de l’ADN.

Ensuite on ne s’est plus rien dit pendant longtemps.

Quand on est arrivé à la fin du silence, la docteure psychologue a raconté qu’on se reverrait souvent pour parler de tout ça. J’étais d’accord parce que ça me soulageait.. ça faisait moins lourd dans ma tête. »

Le roman de Christian Lecomte, journaliste au temps, aborde la question de la radicalisation par le biais d’un conte moderne mettant en scène le jeune Nassim, forcé à quitter sa cité de Seine-Saint-Denis et franchir « l’océan algérien » après l’agression d’un chrétien qui vire à l’homicide. Les motifs de son acte et les idées djihadistes du garçon ne sont abordés que brièvement -Nassim les comprend-t-il lui-même, si ce n’est qu’il souhaite venger l’honneur de sa soeur ? 

Dans ce récit acclamé du public adolescent – Prix littéraire des Romands 2021 -, l’auteur raconte à la première personne l’épopée qui suit la fuite de Nassim, nous plaçant dans cette dérangeante posture d’empathie envers le coupable. Coupable d’avoir tué, certes, mais victime des aléas de l’existence, au destin sans doute bien représentatif de celui des gosses de la deuxième France à qui on a lavé le cerveau à coup de versets coraniques ; pour, au final, les transformer en chaire à canon ? Le périple de Nassim nous emmène en Afrique du Nord où il s’occupe d’une ours aveugle prénommée Natacha au zoo d’Alger, puis sur les rivages du Léman, dans un établissement médico-social. Pour se terminer au Sud de la France, vers les Grottes préhistoriques d’Archignac. 

Sa narration de Nassim est celle d’un jeune à peine sortie de l’enfance, usant d’une prose mêlant l’indicible à la candeur, le drame à la poésie, l’humeur à l’horreur. 

« Au Djebel Koukou, je suis devenu un enfant terroriste et les moudjahidines m’ont appelé Tom Algéri parce que je lisais des Tom et Jerry. Ensuite j’ai été une cellule dormante et j’ai eu d’autres noms. »

Ce que je retiens du livre est une réflexion sur le libre-arbitre, rangé au fond du placard alors qu’on suit un protagoniste qui dès le moment où il perd le contrôle de sa vie en confiant son crime, confie son destin à qui voudra bien l’aider. Cela commence au premier paragraphe : « je voulais juste le bouler mais il est tombé raide mort ». Ensuite, les personnages qui croisent la route de Nassim grossissant le portrait d’un garçon ignorant bien pour qui il prêche : de sa grande soeur Samia victime du machisme ambiant des quartiers à un vieil homme juif rescapé de l’Holocauste, en passant par un ambassadeur genevois ou une jeune fille Rom handicapée, Nassim avance la tête dans le guidon, porté par l’instinct de survie.

Alors que la question du retour des combattants de l’EI déchire les débats politiques en Europe, on se demande : quel horizon offrir à ces coupables repentis ?

Editions Favre, 2021.