« – Comme le dit un proverbe de nos montagnes, il est plus courageux de pardonner que de tuer. Nous devrions nous en remettre à Dieu et trouver en nous la force de pardonner, dit Sokol avec calme, d’une voix profonde et forte.

Dafina fixa Sokol. Elle aimait son frère, même si leur relation était devenue compliquée en raison des activités de Skënder. Ils étaient tous deux très ancrés dans le mode de fonctionnement clanique et attachés au valeur du Kanun. Pourtant, elle ne savait pas si sa présence en Suisse était une bonne chose pour souder le clan après l’assassinat de Mirjan. Dans une certaine mesure, elle aurait préféré que la responsabilité incombe à son fils Skënder. 

Dans ce cinquième volume des aventures de l’inspecteur Andreas Auer, le torse d’une femme en état de décomposition affleure à la surface du Léman. Quelques mois plus tôt, un septuagénaire de la famille Hoti est victime d’une vendetta, alors qu’il retourne au Monténégro enterrer sa défunte épouse. Sa famille de Suisse sous l’égide de Skënder, spécialiste des réseaux mafieux et de l’argent facile, s’entête dans le cercle vicieux de la vengeance. À la police de remettre les pièces d’un puzzle explorant l’âme humaine dans ses aspects les plus abjects.

La figure romande la plus connue, peut-être, du polar du terroir, nous fait découvrir, la violence à bout de bras, une Albanie qui se reconstruit après la dictature communiste. Entre modernité, trafic de drogue et poids des traditions. Comme dans « L’Aigle de sang », on se plonge dans les rites ancestraux et leurs dérives possibles lorsqu’il s’agit de les conjuguer à notre temps. L’occasion de s’instruire quant aux diverses faces d’un pays si méconnu des Suisses, en dépit de la diaspora —aspect pour lequel le travail de recherche en amont est à saluer.

Car chez Voltenauer, rien n’est laissé au hasard. La fiction se veut conforme au plausible, au risque d’endiguer la pulsation du texte par quelques tirades de vulgarisation scientifique. Dans ce tome, la dictature d’Enver Hoxha est à l’honneur, tout comme la psychologie du cannibalisme et l’éducation des personnes sourdes dans la Suisse du 20ème siècle. De quoi déplaire aux adeptes des récits incisifs résolument orientés sur l’action. 

Ainsi, « Cendres ardentes » ne ménage pas son lecteur. Il explore l’homme et ses sombres déviances. Dans le monde de l’auteur, les traumatismes de l’enfance conduisant à la perversion ne ratent jamais le premier rôle. Au point de reprocher à l’écrivain de pousser l’horreur à son paroxysme, pour titiller la fascination morbide d’un lectorat à la recherche du gore ?

Âmes sensibles s’abstenir, donc. Les fans incontestés d’Hannibal Lecteur vont par contre y trouver leur compte. Il convient toutefois de préciser que les polars de l’auteur défendent, en fil rouge, la tolérance et l’inclusion. Le courage et la droiture des héros pointent du doigt l’extrémisme, à chaque fois. Voltenauer écrit finalement humain pour le pire et le meilleur.

Editions Slatkine, 2022.