Avec la lettre, Jean avait ajouté une photo. On le voit emmitouflé dans une veste à carreaux, devant sa petite ferme. Il a l’air fier. Il a une barbe. On aperçoit le ciel au-dessus de lui et je pense qu’il n’existe aucun ciel assez lourd pour le faire plier. Au-dessous du. mien je me sens reliée à lui.

Le travail avance. Nous avons presque fini l’ossature. On arrive à imaginer la maison, à quoi elle va ressembler. On va bientôt pouvoir attacher la charpente du toit.

La lauréate du Prix suisse de littérature 2023 délivre un récit  court et touchant sur la réparation, l’amitié et l’héritage familial dans le décor préservé d’un petit village. 

La protagoniste Elena vit dans un studio de la ville et échange une correspondance régulière avec Jean, ami expatrié au Canada, qui a préféré une existence proche de la nature dans une ferme au grand air. Sans pouvoir expliquer le malaise que la ville produit sur elle, elle quitte son travail dans un cinéma du jour au lendemain, et décide, sans connaissances préalables du domaine, de s’attaquer à la reconstruction de la maison de son enfance,Chesa Seraina, disparue dans un incendie et dont il ne reste que les ruines.

A travers cette démarche, c’est l’histoire de sa famille qu’elle semble réparer ; c’est aussi l’occasion de se retrouver elle-même, trouver sa vocation professionnelle, et comprendre sa place dans le monde. L’histoire a quelque chose d’initiatique. Toute la famille finit par prendre part à son initiative de construction et le dialogue se rétabli au fur et à mesure que les murs se dressent. Les voisins du village dont les parents ont déploré le manque de solidarité lors de l’incendie prennent part au chantier. Le traumatisme -qui doit être terrible- de voir sa maison d’enfance brûlée se guérit à force de sueur et d’échines dans les doigts.

Fanny Desarzens est diplômée de la Haute école d’art et de design de Genève ; est-ce sur la base de cette information que j’ai abordé son ouvrage comme une œuvre d’art, observant, laissant venir les émotions au fil des lignes, l’esprit ouvert à l’interprétation ? Elle cultive un style bien particulier : des phrases courtes, truffées d’anaphores qui confèrent une allure poétique au récit ; un vocabulaire volontairement simple, du registre du quotidien ; le récit d’Elena met l’accent sur les faits, les émotions derrières ne sont pas explicitées, restent à deviner. La protagoniste ne s’épanche sur ses sentiments que lorsqu’elle parle à Jean dans ses lettres. 

Un texte court et simple mais au final très littéraire. A ne pas lire si vous préférez une intrigue bien compliquée à suspense, et que vous n’êtes pas sensible au style.

Pour en savoir plus : La présentation du livre par la RTS

Editions Slatkine, 2023. 119 pages.