« El día en que lo iban a matar, Santiago Nasar se levantó a las 5.30 de la mañana para esperar el buque en que llegaba el obispo. Había soñado que atravesaba un bosque de higuerones donde caía una llovizna tierne, y por un instante fue feliz en el sueño, pero al despertar se sintió por completo salpicado de cagada de pájaros. « Siempre soñaba con árboles », me dijo Plácida Linero, su madre, evocando ventisiete años de los pormenores de aquel lunes ingrato. »

En voyage en Colombie il y a peu, je me suis rendue au centre culturel Gabriel García Márquez de Bogotá qui est au final une libraire géante, et il fallait repartir par principe avec un livre de l’auteur. J’avais transpiré face à « L’amour au temps du choléra » et « Cents ans de solitude », deux pavés érigés en classique dès leur parution. J’ai donc choisi, pour poursuivre, « Chronique d’une mort annoncée », court mais efficace, parfaitement représentatif de l’oeuvre de l’auteur et son art de transposer le réel dans un métavers avant-gardiste où sa prose seule nous conduit hors du temps.

L’auteur colombien et prix Nobel de Littérature délivre ici un roman journalistique -sa profession initiale- basé sur le meurtre d’un homme fortuné d’un petit village d’Amérique du Sud du XIXème siècle. L’honneur, la force des traditions et la religion régissent les lois de ce coin du monde et lorsque la belle Angela Vicario est rendue à sa famille après sa nuit de noce avec Bayardo San Román qui découvre, effaré, qu’elle n’est plus vierge, les frères Vicario assassinent l’auteur présumé du déshonneur, Santiago Nasar.

Le Colombien déploie une chronique des faits retranscrits par un témoin du village, proche de la famille certes mais aucunement impliqué de façon active dans l’enquête et ses mystères. Les frères Vicario annoncent clairement leur intention de tuer Nasar et dans un espace restreint où les rumeurs circulent plus vite que les véhicules de ce temps, la victime aurait pu bénéficier de tas de portes de sortie, qu’il n’utilise pourtant jamais -preuve de son innocence ? La véritable coupable n’est-elle pas finalement la fiancée qui, en le désignant comme voleur de sa virginité perdue, le condamne à mort ?

Le roman peut être considéré comme un « anti-polar », d’abord de par sa manière de traiter l’affaire en racontant le meurtre de manière rétrospective -le lecteur sait dès le premier paragraphe qui va tuer qui et pourquoi. Ensuite par le fait que le véritable coupable du déshonneur n’est jamais connu, alors que l’histoire confirme froidement que l’interpellé tué par les deux frères n’y serait en réalité pour rien. 

Les faits sont reportés par un narrateur compilant dans son récit les dires et témoignages des personnages de sa connaissance qui content leur propre version des faits, parfois contradictoires. Par ailleurs, certaines scènes frôlent la parodie lorsque les personnages qui tentent de contrer la tragédie sont arrêtés dans leur élan par des imprévus insolites. Les jumeaux Vicario préparent leur crime d’honneur avec l’insolente certitude qu’ils sont dans leur droit de récrier justice pour leur soeur et s’en vont à la boucherie du village aiguisés les couteaux préparés pour servir au meurtre. Nous voyons que l’auteur confirme une fois de plus son usage parfaitement maîtrisé du réalisme magique dans des scènes presque burlesques où l’étrange fait partie du quotidien de cet univers coupé du monde. 

Comme dans ses habitudes, García Márquez étale son récit sur plusieurs décennies après l’événement clé et le lecteur a la surprise de voir le couple séparé brutalement après leur nuit de noce désastreuse tenter de recoller les morceaux dans un dénouement qui fait penser à « L’amour au temps du choléra », de par la volonté des personnages de rester en lien à travers des courriers sans réponse pour finalement se remettre ensemble. 

Un texte idéal pour aborder l’oeuvre de l’auteur par un récit moins chronophage que ses grands romans mais qui a grandement contribué à sa renommée internationale. 

Editions Random House, 2014. 1a edición, 1981. Version française : Le Livre de Poche.