Hormi le mariage, rien ne plait tant aux filles qu’une peine de cœur, de temps en temps.

Plusieurs fois dans l’année, je revisite les classiques qui dorment sur ma bibliothèque depuis que j’ai passé le bac. Histoire de rattraper quelques négligences de la période de mes seize ans où à choisir entre Jane Austen et Gossip Girl, j’optais plutôt pour la seconde. Par ailleurs, les lumières de décembre invitent à se plonger dans des romances au ton plus léger que l’actualité et entre deux larmes pour les victimes d’Israël, je redécouvre les amours contrariées entre Mr. Darcy et Elisabeth Bennet dans l’Angleterre des guerres napoléoniennes.

Le but ici n’est pas de refaire un commentaire composé d’ «Orgueils et préjugés », à cet effet Chat GPT se fera un plaisir de prendre le relais. Simplement de fournir une petite réflexion sur mes impressions de lecture.

Le roman plaira à ceux qui aiment lire le théâtre ; l’abondance de dialogues s’oppose au vide descriptif, qu’il s’agisse de lieux, du contexte de l’époque ou de l’apparence des personnages. Ainsi, l’action réside dans les relations interpersonnelles.

Mr et Mrs Bennet vivent à Longbourn avec leurs cinq filles, toutes en âge de se marier. L’unique préoccupation de la mère est de leur trouver à chacune un bon parti. Une aubaine lorsque leur riche voisin, Mr. Bingley, semble avoir des vues sur l’aînée, Jane – qui le lui rend bien. Bingley vient accompagné de son fidèle acolyte, Mr. Darcy, qu’Elizabeth -la jeune sœur de Jane- juge orgueilleux et antipathique. Sans savoir qu’en dépit de son attitude peu avenante, il n’attend que de lui déclarer sa flamme.

Austen défend une vision de l’amour réfléchie qui murit avec le temps, par opposition au coup de foudre. Cela oblige le lecteur à patienter jusqu’au happy ending, que l’on devine perdu d’avance en théorie, gros comme une maison en pratique. Surtout si vous avez déjà vu un certain nombre de comédies romantiques hollywoodiennes où deux ennemis se font les yeux doux. Rien de bien original, je le concède. Et pourtant, ce roman s’impose en référence plus de deux siècles après sa parution.

Les protagonistes, issus de la petite noblesse, s’expriment à coups de tirades en langage soutenu, reflets de leur époque et de leur classe sociale. L’ironie latente dont Austen manie habillement les règles est peut-être ce qui empêche le basculement de l’ensemble vers un registre trop pompeux qui plongerait le lecteur du XXIe siècle dans l’ennui. À ce sujet, le personnage de Mr. Collins, érigé en caricature de l’obséquiosité des nobles de son temps, en demeure le meilleur exemple. Caractères affirmés, répliques enjouées, subtile critique de la bienséance sociétale et de la condition féminine, tout est suffisamment calculé pour que l’on s’attache aux protagonistes, notamment à ce pauvre Mr. Darcy à qui on souhaite le meilleur alors qu’il déclare maladroitement son amour et se fait rembarrer. La suite de ses aventures pour conquérir Elizabeth se découvre avec le même plaisir coupable que lorsqu’il s’agit de réunir le couple phare d’une série Netflix. 

Finalement, les écrits d’Austen, décriés de son vivant pour ses thématiques à l’eau de rose (elle n’a guère eu le temps de faire sa place dans le milieu littéraire en décédant à 41 ans), ont le mérite de mettre en lumière les intrications de la culture anglaise de son siècle tout en restant intemporels par leur manière de sonder l’âme humaine. Les adaptations cinématographiques ainsi que les reprises de la thématique dans plusieurs œuvres contemporaines contribuent à entretenir le phénomène, si bien que le livre serait classé parmi les préférés des Anglais avec le Seigneur des Anneaux. 

Ainsi, il vaut la peine de persévérer, même si les premiers chapitres paraissent lents et un brin grandiloquent. Cela est peut-être intentionnel pour un livre qui défend l’amour en tant que sentiment qui se construit. Je termine ainsi par citer la préface de Catherine Cusset, autrice française, sur son rapport au livre en page IV :

« il est logique qu’un roman qui décrie l’amour coup de foudre et défende l’amour sur l’estime se fasse lui-même apprécier par d’autres moyens qu’une séduction immédiate et souvent trompeuse ! On peut donc conclure à l’harmonie du fond et de la forme ».

Editions Flammarion, première version 1813, édition présente 2020.