« Mon corps se fatigue à cogner contre tous les murs. Selon Goethe, « n’est juste que ce qui est fécond. » Je me demande si je ne suis pas en train de me perdre. Est-ce qu’un jour je trouverai ce qui m’anime? Est-ce que c’est bien judicieux d’écouter les formules d’un vieil allemand mort depuis deux siècles? »

J’ai acheté le livre par hasard, au rayon suisse d’une librairie locale. Je l’ai lu en une fois, puis racheté deux fois pour l’offrir à des proches, puis relu une fois. Un luxe que nous autorise la narration prenante et plutôt courte de l’auteure vaudoise. Voire dans mon cas, une nécessité, tant les propos révoltés de cette jeune fille lasse des conventions sociales m’ont pris au cœur. Je suis tombée amoureuse de « Petite ». Dans ce premier livre et par son récit de vie, Sarah se fait porte-parole de cette génération frileuse de s’intégrer dans un emploi stable et routinier si celui-ci a raison de nos rêves.

Née en région lausannoise d’une mère algérienne et d’un père « qui ne peut plus courir parce qu’il a trop travaillé », elle s’affirme dès l’enfance avec ses différences et sa révolte, qui lui vaudront une adolescence quelque peu malmenée -rupture familiale, harcèlement et l’abandon d’une formation pour la simple raison qu’elle n’y voit pas le sens. Les psys friands de diagnostic la déclarent « hypersensible » ; un qualificatif plus au moins anodin, qui se traduit pourtant par un profond mal-être face à une société consumériste et individualiste. Ce qui la sauve, c’est ce projet de partir à travers l’Europe sans un sous en poche. Elle compte sur son sens de la débrouille -aiguisé puisqu’elle a passé sa vie à s’adapter- et surtout la solidarité des autres pour atteindre le Cap-nord. A partir de là, elle se fera connaître sur les réseaux comme « l’aventurière fauchée » et étanchera sa soif de vivre par ses expériences autour du monde.

Il faut dire que j’adore les histoires de vie, et davantage lorsque les événements me font l’effet miroir ; Sarah déclare avoir lu quelque part que seules 8% de nos peurs sont fondées sur des éléments tangibles, les 92% restant résultant de nos croyances. Ces petites phrases lancées à gauche à droite, qu’on imprime inconsciemment dans un coin de la tête. Du genre « ne va pas là-bas toute seule, c’est dangereux pour les filles. » Le mieux, c’est d’y aller quand même, et de revenir avec des étoiles dans les yeux, riche de découvertes, mais surtout de la conviction que l’on appréhende tous la vie avec des barrières dans la tête pour finalement reconnaître qu’en général, les choses se passent mieux que dans nos scénarios catastrophes. Sarah pense à ces 8% lorsqu’elle décide de quitter la Suisse en stop et dans son cas, l’expérience lui donne raison. Grâce à la bienveillance du genre humain, peut-être aussi grâce à la chance, présente lorsqu’on sait la saisir.

Le texte de Sarah Gysler est un véritable hymne à la vie, un récit de vie à l’encontre de ceux qui, sur les réseaux, déclinent le bonheur à toutes les sauces pour s’en tenir à une face de l’Iceberg.

Edition les Equateurs, 2018.