L’art de perdre – Alice Zeniter

 

« Pas l’Algérie, non. Plus jamais. Il faut oublier l’Algérie. C’est une chose qui lui demande des efforts énormes. Tout son visage est crispé. Pour oublier ce pays entier, il aurait besoin qu’on lui en ait offert un nouveau. Or, on ne leur a pas ouvert les portes de la France, juste les clôtures d’un camp. » 

 

Naima est française, descendante d’une famille kabyle. Alors que la société la ramène sans cesse à des racines dont elle ignore tout, elle décide de s’immerser dans l’histoire de son pays d’origine. En suit une saga familiale, déroulée sur trois générations, retraçant, revisitant le destin de l’Algérie contemporaine entre aliénation et émancipation.

Le récit s’ancre dans l’Algérie du XIXème siècle, traverse ensuite la période coloniale et la guerre, puis les accords d’Evian renvoyant les dissidents du FLN sur la terre des envahisseurs. Là où, en dépit de leur fidélité à la France, ils sont accueillis dans des camps ayant ironiquement servis aux rafles de Juifs vingt ans plus tôt. Ali, Yema et leurs enfants ont traversé la mer ; ils devront assumer les conséquences de ce choix, entre soumission et révolte.

La première partie du récit dresse ainsi le portrait du patriarche, grand-père de Naima, figure incarnant le déchirement entre l’amour de sa terre et la fidélité à la Métropole. Dans les montagnes kabyles, il était respecté et fortuné ; propriétaire de champs d’oliviers, il a également combattu pour la France durant la guerre et percevait une pension d’ancien combattant, un droit aboli après la victoire du FLN. Sommé de choisir un des deux camps, Ali navigue et s’interroge. Quel chemin demeure le plus juste, dans une guerre où chacun des forces ennemis s’adonne sans relâche aux massacres et à la torture ?

S’en suit alors une longue traversée du désert et un aller-simple en ferry en direction de la France. Cet épisode traumatique plonge Ali dans le silence ; de propriétaire terrien respecté, il devient hôte indésirable d’une terre qu’il a défendu sans en parler la langue, sans en comprendre les codes. Les Algériens arrivés en 62 sont traîtres  au FLN, décriés sur leur terre. En métropole, même les services d’entraide les incitent à se faire discrets, s’approprier leur culture, et les prénoms des enfants d’Ali reflètent cela avec une ironie tragique : Hamid, Kader, Dalila et Claude. Le petit dernier, arrivé au camp d’accueil ; l’intervention d’une assistante sociale incite les parents à lui choisir un nom chrétien.

Lorsque la famille passe du camp à la cité, Hamid, l’aîné, père de Naima, tombe amoureux de la langue française. Des romans du Club des cinq ; de la ville parisienne estudiantine. Les réminiscences du pays de son enfance le tiennent éveillé à force de cauchemars. Alors avec virulence, il s’intègre, se révolte face au racisme, cherche sa place : « C’est des conneries, ces histoires de racines. Tu as déjà vu un arbre pousser à des milliers de kilomètres des siennes ? Moi j’ai grandi ici alors c’est ici qu’elles sont. »

Le silence de son père sur les raisons de son émigration creuse un fossé entre eux ; la langue arabe n’arrive plus à décrire la nouvelle réalité d’Hamid. Le dialogue avec les siens n’existe plus qu’en surface. Les parents, analphabètes, peu bavards et enclins à baisser la tête, éduquent leurs enfants selon des valeurs que cette nouvelle génération rejette. Hamid en a assez de jeûner pour le Ramadan, assez de voir les siens exploités à l’usine, assez d’entendre ces professeurs le féliciter plus que les autres parce qu’il est inhabituel de voir un Arabe intelligent.

Le roman est une véritable quête identitaire, un questionnement parfaitement construit sur le destin des migrants et de la deuxième génération ; il interroge le colonialisme, la double-appartenance, la discrimination. Nous revisitons la France des années 60 et 70, les révoltes estudiantines, la peur des Français face à ces visages exotiques qui occupent les bancs de leurs écoles. Le style d’Alice Zeniter m’a impressionné de par sa manière de débiter des vérités universelles avec des tournures de phrases percutantes et concises.

Le second intérêt plus personnel que j’ai trouvé à ce livre méritant amplement son Prix Goncourt est de traiter le thème de la mixité sociale en France sous un autre regard que dans le décor des banlieues, au sein de communautés où les enfants d’immigrés restent cloisonnés entre eux en bas des tours. Les amis de Hamid s’appelent Gilles et François et son goût des études l’entraînent vers d’autres sphères, où malgré son intégration on le rappelle sans cesse à sa différence.

L’autrice partage avec Naima ses origines et l’on ressent dans sa démarche le besoin de revisiter l’histoire d’une terre avec ce regard de la troisième génération, à la fois emprunt de recul -les archives historiques aident à délivrer un témoignage objectif- et de regrets -les leurs, partis trop tôt, ne s’expriment plus que par le souvenir de la descendance et quelques photos. Les protagonistes, à tour de rôle, apprennent chacun l’art de perdre.

Editions Flammarion, 2017.

 

Ne t’arrête pas de courir – Mathieu Palain

« Je voulais qu’il change. Qu’il s’en sorte. Qu’il arrête de voler et qu’il devienne champion olympique du 400 mètres. Je rêvais. Je refusais de voir une réalité que pourtant il ne me crachait pas. Je savais qu’à son arrivée à Réau, le gradé l’avait convoqué dans son bureau. Pour blaguer, il avait lancé : « Oh là là, planquez tout, voilà Coulibaly! ». Les surveillants avaient ri, Toumany s’était assis et le gradé avait déroulé son speech: « Vous avez du talent, vous êtes intelligent, vous n’avez rien à faire en prison, vous devriez être dehors à défendre la France dans les grandes compétitions… » et pendant qu’il parlait, Toumany passait son bureau en revue en se disant, il faut que je lui pique un truc. Vingt minutes plus tard, il avait une télécommande universelle dans la poche. Il n’avait aucune idée de ce qu’il allait en faire, elle ne lui servait à rien. Il a fini par la donner à un détenu qui en avait assez de se lever pour changer la chaîne sur sa télé. J’aurais pu en conclure qu’il était irrécupérable. Mais un camé doit toucher le fond pour rebondir. »

 Il existe des livres absolument impossibles à lâcher, qui nous tiendraient éveillés la nuit. En exemple, le roman journalistique de Mathieu Palain, sur l’histoire incroyable mais vraie d’un sportif d’élite braqueur à ses heures perdues.

L’auteur est journaliste de formation et publie son premier roman Sale gosse en 2019 -un titre déjà immersif dans l’univers des banlieues françaises, dont il est issu. Attiré, dans ses reportages, par la thématique du milieu carcéral, il est également sportif amateur, passionné de football. Lorsqu’il apprend que Toumany Coulibaly, l’un des meilleurs espoirs de l’équipe de France de sprint, purge une peine de 30 mois pour vols et braquages avec récidive à la prison de Réau, il lui écrit un courrier, par hasard. Lui proposant une rencontre, afin de comprendre son histoire.

Au fondement de son interrogation, le paradoxe de combiner des entraînements requérant une discipline sans faille et une volonté de fer dans l’une des spécialités les plus exigeantes de l’athlétisme -le 400 mètres- avec une forme de kleptomanie avérée. Alors que des milliers d’espoirs brigueraient la place et le talent de Toumany, lui vend son rêve de médaille olympique pour poursuivre ses activités illégales.

Le roman commence par un entretien entre l’auteur et le détenu dans le décor glacial du parloir. Très vite, nous voilà immergés dans le récit de vie de ce jeune français d’origine malienne, issu de la deuxième France. Cette France des chansons de NTM; des communes où le taux de chômage dépasse les 50%. Où des familles migrantes composées de dizaines d’enfants s’entassent dans des cités-dortoirs. 

Le père de Toumany se lève à 4 heures du matin pour travailler dans une boucherie halal. Il a deux épouses et dix-huit enfants. « Ceux qui marchent occupent le garage transformé en dortoir. Des lits superposés ont été poussés contre les murs, laissant un couloir de quarante centimètres pour circuler. » Il décide de renvoyer son fils Toumany dans sa famille au Mali alors que ce dernier, adolescent, se fait exclure de l’école sur un malentendu. Le jeune oeuvre alors pour revenir dans son pays et se retrouve même incarcéré quelques temps dans une prison de Bamako. 

De retour en France, il se fait remarquer pour son don en sprint et rapidement, parcourt la fameuse distance du tour de piste en moins de 46 secondes (le record du monde est actuellement à 43’). Cela lui vaut le titre de champion de France en 2015, et une possibilité de concourir en Ligue de Diamant. La faille de ce récit extraordinaire réside dans la propension sans répit du protagoniste à dérober toutes sortes d’objets qui ne lui appartiennent pas. Sa mère dit, depuis son plus jeune âge, que son fils « a la main qui vole ». A l’âge adulte, il passe au second stade, celui des braquages à main armée.

Ainsi, l’enfance défavorisée de Toumany, combinée à une éducation laxiste et en prime, le traumatisme du transfert forcé dans un pays dont il ne parle pas la langue, pourraient servir d’excuse à justifier son profil de multirécidiviste. Toutefois, l’athlète cherche plus profondément en lui les réponses à l’éternel « pourquoi » de son comportement, question maintes et maintes fois explorée par ses amis, ses coachs, son épouse et plus tard Mathieu Palain. Tant de mains lui ont été tendues grâce à son statut de sprinteur d’élite… Un poste de comptable lui avait été proposé pour qu’il puisse subvenir à ses besoins. Et pourtant, le soir où il est censé fêté son titre de champion de France du 400 mètres dans l’insouciance, il se retrouve le visage masqué à braquer une pharmacie.

L’ouvrage est à la fois un roman de société, une réflexion sur la kleptomanie et une interrogation des frontières entre le bien et le mal. Surtout cette zone grise, dans laquelle se trouvent bien des détenus. Toumany s’est fait repéré par son profil atypique d’athlète, mais combien de profil similaire au sien se trouvent actuellement derrière les barreaux ? Ces jeunes de banlieue égarés, à la base pas des mauvais gars, mais tentés d’enfreindre la loi, pour des histoires de manque d’argent, d’influences. D’un besoin impérieux d’adrénaline, parfois. Mathieu Palain interroge également, au fil du récit, le pourquoi de son intérêt récurrent pour l’univers carcéral dans ses reportages. Il remonte pour cela à son enfance et son amitié avec une jeune femme basque impliquée dans des actes terroristes indépendantistes, purgeant une longue peine dans une prison pour femmes.

Le roman dépeint également le quotidien des sportifs de haut niveau dans un milieu qui ne génère pas d’argent; alors que des Kilian M’Bappé se retrouvent multimillionnaires avant 18 ans, les sprinteurs doivent eux avancer l’argent pour tout. Les camps d’entraînement, les billets d’avion pour la Diamond League, les nuits d’hôtel avant les compétitions… Trop fier pour admettre qu’il n’a pas de moyens, Toumany dort dans sa voiture, et le lendemain, court le 400 mètres dans des chronos affolants.

En fil rouge, nous trouvons aussi la relation d’amitié qui se noue entre l’auteur et l’athlète, d’autant que les avocats de Toumany la considèrent d’un mauvais oeil. Mathieu souhaite à tout prix que le sprinteur s’en sorte, ne récidive pas. Le lecteur aussi. C’est cet espoir de rédemption qui rend le roman si prenant et palpitant. A tout moment, on espère voir ce jeune talent se ranger, sortir, renouer avec ses rêves de médaille. Est-ce là le dénouement final du livre ? Pour le savoir, je ne peux que vous conseiller de le lire de toute urgence. 

2021, Editions de l’Iconoclaste 


D’après une histoire vraie – Delphine de Vigan

Delphine de Vigan est la seule autrice française dont je peux me targuer d’avoir lu l’intégral des ouvrages et D’après une histoire vraie est mon favori. Une apparente histoire d’amitié, une immersion dans le quotidien d’une écrivaine à succès… jusqu’à ce que le récit, parfaitement échafaudé, évolue vers le thriller psychologique jouant avec nos nerfs de lecteur. Impossible à lâcher !

Les premiers chapitres ont une allure de témoignage, pour autant que l’on connaisse l’œuvre et les grandes lignes biographiques de l’autrice. La protagoniste prénommée également Delphine, en couple avec un journaliste du nom de François, vient de publier un best-seller contant un authentique drame familial. Une allusion à Rien ne s’oppose à la nuit, que de Vigan signe en 2011, après le suicide de sa mère bipolaire dont le texte retrace l’histoire -cet ouvrage fera sans doute l’objet d’une chronique postérieure.

La Delphine du livre reçoit alors des courriers anonymes qui lui reprochent avec véhémence de s’enrichir sur les malheurs de sa famille. A la même période, elle rencontre dans un salon littéraire la mystérieuse L. -entendez « elle » à l’oral. Une femme à la fois sans identité et dotée d’une influence sans pareil sur la vie de l’écrivaine qui, au moment de leur rencontre, se met à souffrir du syndrome d’angoisse de la page blanche. Dans l’introduction, elle annonce la couleur : depuis que L. débarque dans sa vie, elle ne peut plus écrire une ligne. Ni roman, ni critique, ni préface ; pas même une carte de vœux. Cachant à ses proches ce qui, à son échelle, est une maladie professionnelle, elle s’en remet à L. pour lui sauver la mise.

L. est représentée comme un alter ego de Delphine : autrice également mais écrivaine de l’ombre, elle publie des récits de vie de célébrités en tant que nègre. Dotée d’une assurance frôlant l’arrogance, elle est belle, disponible et totalement dévouée à Delphine jusqu’à la remplacer en personne lors d’invitations professionnelles. L’amitié des deux femmes ne tarde pas à évoluer en relation de dépendance malsaine que la protagoniste raconte avec du recul, consciente de devoir s’en détacher, mais excusant le comportement envahissant de L. à la manière d’une femme violentée qui ne peut quitter son conjoint. La présence de L. dans la vie de Delphine coïncide par ailleurs avec des événements que notre regard de lecteur impute à cette mystérieuse femme (lettres incendiaires qui se poursuivent, vole de ses carnets de note d’écrivain). L. refuse de rencontrer la famille et les amis de Delphine, se soustrayant à tout témoin possible de ses actes. Concernant sa carrière, elle ne tient qu’un seul discours : la fiction n’intéresse plus personne et pour conquérir son public à nouveau, Delphine se doit de produire du vrai. La situation se retourne enfin en faveur de cette dernière lorsqu’elle se décide à se remettre au travail avec un objet d’écriture bien précis : L., et les épisodes de sa vie teintée d’événements tragiques qu’elle raconte à Delphine comme un écrivain raconte des histoires. Ce qu’elle raconte, est-ce que c’est vrai ?

Le résultat final est bluffant : j’ai été tenue en alerte par ce thriller que l’on retourne dans tous les sens sans parvenir à terminer le puzzle. Le roman est participatif, puisque le lecteur a un avis à se forger sur le final. Entre les lignes, la question suivante : notre pire ennemi ne se trouve-t-il finalement qu’en nous-mêmes ? Nous sommes invités à réfléchir sur les dissonances entre le vécu et l’imaginé, le danger réel et la psychose ; nos représentations de nous-mêmes face au regard de l’autre. Delphine est-elle victime ou schizophrène ? 

A chaque fois que je parle d’un livre à mes amis et ma famille et pour autant que l’intrigue ne comporte ni meurtre ni dragons, la même question me revient : est-ce que c’est une histoire vraie ? Une interrogation qui, je dois l’admettre, me dérange, me perturbe, me renvoie à d’autres questions. La sociologie contemporaine atteste d’un intérêt moderne sans précédent pour le réel. La « vraie » vie -scénarisée au possible- des influenceurs attise autant de vues, voire davantage, que les séries de fiction, « parce que c’est vrai ». En librairie, autobiographies et témoignages foisonnent. De Vigan aborde d’ailleurs cette thématique dans son dernier livre « Les enfants sont rois » qui commence par devinez quoi : la finale de l’émission Loft story en 2001. Est-ce à cette époque où la télé-réalité fait ses débuts prometteurs que l’obsession du vrai commence ? 

Bien sûr qu’en plongeant dans un livre, notre curiosité de lecteur tentera toujours de démêler le vrai du faux. Mais les récits autobiographiques ne comportent-ils pas tous une part d’autofiction, dans la mesure où nos représentations de nous-mêmes et de notre vécu restent emprunts de subjectivité ? A l’inverse, un roman fictif s’inspire toujours d’une époque, d’un contexte socio-politique, de la vie des gens ordinaire. Oui, toujours, je m’excuse de citer encore Harry Potter, mais les fans ont tous fait l’amalgame entre Lord Voldemort et Adolf Hitler. 

Pour poursuivre dans la réflexion, je pense aux séries de fiction qui se doivent d’inclure de la diversité dans leurs personnages pour correspondre davantage aux standards de la réalité sociale actuelle. Une noble idée… avec le risque de dénaturer des oeuvres de fiction parce qu’elles ne correspondent plus aux références de notre temps. Trop machistes, trop européocentristes. Pourtant, le cinéma et la littérature sont le reflet d’une époque et j’excuse Tolkien de négliger les personnages féminins dans ses livres ; en 1920, la présence des femmes en-dehors du foyer était trop rare pour que ce Monsieur pourtant intelligent puisse seulement y penser. 

Finalement, n’est-ce pas contradictoire de vouloir rendre toute fiction représentative du monde réel alors que sur les réseaux sociaux, nous assistons à une déferlante de scènes prétendument authentiques qui ne s’avèrent que mascardes ? Encore un paradoxe de notre belle époque…

Pour conclure, dans le roman D’après une histoire vraie, la problématique des frontières poreuses entre la réalité du monde externe, la réalité propre à notre ressenti interne et la fiction pure est décortiquée, imagée, ficelée et déficelée sous tous les angles. C’est à mon sens une œuvre de génie qui mérite bien le Prix Renaudot et le Prix Goncourt des Lycéens reçus en 2015. 

Editions Hachette, 2015.

Dans la peau d’une djihadiste – Anna Errelle

La journaliste d’investigation du nom d’emprunt d’Anna Errelle délivre dans ce récit un témoignage inédit et affolant sur les filières de recrutement de l’Etat islamique auprès des jeunes. Spécialiste des questions de radicalisation, elle souhaite enquêter sur les méthodes des terroristes incitant des adolescents musulmans ou convertis à partir pour la Syrie dans la France d’avant le Bataclan. 

« L’épouser ?! Je déconnecte Skype, comme un réflexe de survie. Je descends mon hijab sur le cou, et je me tourne vers André, l’air aussi hébété que moi. Nous nous regardons, incapables de répéter autre chose que « oh putain! » en boucle. Parce que nous savons que nous pouvons tout arrêter maintenant, et que dans ce cas cette soirée ne demeurera qu’une anecdote parmi les nombreuses que nous comptons. Mais, bien sûr, nous n’agirons pas ainsi. Nous en voulons davantage…. C’est le but de l’investigation : toujours en savoir plus. »

Au début de l’histoire, une identité fictive sur le réseau social Facebook, qu’Anna utilise pour épier certaines vidéos de propagandes de combattants de l’EI après la prise de la ville de Mossoul, en 2014. Ce compte porte le prénom de Mélodie. De l’autre côté de l’écran, sur le territoire syrien, il y a Abou Bilel, dont la dernière vidéo de propagande a fait le tour du monde. Son intention en tant que chef de guerre est d’inciter des jeunes en mal d’amour à venir le rejoindre se battre ; il s’agira d’un clic fortuit en-bas d’une vidéo de propagande qui changera Mélodie en nouvelle cible de Bilel.

Attérée de voir un des leaders du Djihad entrer en contact avec elle plusieurs fois par jour, Anna se trouve à improviser la vie d’une adolescente française de 20 ans issue d’une famille monoparentale, convertie à l’islam, qui pose naïvement des questions à Bilel sur son rôle dans l’EI, ses prochaines batailles et ses motifs. Dans un langage naïf et rempli de fautes d’orthographes, elle le confronte aux informations diffusées dans les journaux sur la soif de sang du mouvement. Nous sommes à l’époque où Mohammed Merah passe dans le milieu pour un héros de guerre. L’égo gonflé à bloc par l’intérêt de la midinette, Bilel demande à la voir par Skype et ne s’aperçoit pas que la fille de 20 ans en a en réalité 35 derrière son voile. Deux jours après, il la demande en mariage et organise son départ pour le Shâm, la terre promise.

Le discours de Bilel envers sa petite fiancée d’Internet est à la fois une confession criminelle, une propagande maîtrisant l’art de la manipulation dans les règles et une pièce de théâtre de l’absurde, tant certains propos tombent dans le grotesque. Le prêcheur prépare des vidéos inventoriant son véhicule militaire à la manière dont on vante le mérite d’une nouvelle Citroën au Salon de l’Auto ; il blablate des heures sur le besoin d’un monde meilleur pour les croyants et la parole de Dieu, avant de rappeler à sa jeune épouse de prendre de la lingerie fine pour leur nuit de noce. A travers son écran, Anna découvre un profil psychologique instable, menteur et pédophile. Dans un français truffé d’arabismes, il débite sur le bonheur qu’elle trouvera au coeur d’un pays en guerre.

La journaliste retranscrit chacune des journées qu’elle endosse dans ce rôle qui lui fait peur autant qu’il l’épuise, mais qu’elle s’obstine à endosser, portée par une ambivalence que le lecteur peine parfois à comprendre. Son but ultime est de parvenir à la frontière turco-syrienne accompagnée d’un caméraman. La fin du témoignage a des allures de thriller psychologique alors qu’elle ne peut se regarder dans le miroir sans y voir Mélodie en ligne de mire. 

« Je perds beaucoup de temps à rentrer dans le jeu de séduction de Bilel pour gagner sa confiance. Quitte à avoir pris le risque d’entreprendre cette expérience journalistique, il serait frustrant de ne pas la vivre jusuq’au bout. (…) Personne, même pas André, ne perçoit l’exercice de schizophrénie maîtrisé dans lequel cette enquête m’entraîne. ».

Ce livre est un témoignage supplémentaire sur la manière dont les esprits faibles peuvent se laisser embrigader avec aisance face aux discours les plus farfelus, pour autant qu’ils parviennent à toucher leurs affects et revaloriser leur personne. Nous nous trouvons dans une des questions les plus discutés de notre histoire contemporaine : comment des massacres de peuples ont pu se faire avec le consentement des masses ?  Avec en prime, de nouveaux outils par l’avènement des réseaux sociaux offrant des contacts personnalisés entre prêcheurs et victimes.

La seconde thématique se porte sur les métiers du journalisme et leur avenir, dévoilant une facette de la profession aux antipodes de l’attaché de presse local rendant des comptes-rendus innocents sur la vie quotidienne. Les journalistes d’investigation vivent leur job comme un devoir sacré quitte à y laisser des plumes. Des héros contemporains, peut-être. Des masochistes en quête de sensation forte, parfois également? Nous ressentons, à travers la plume d’Anna, un besoin personnel d’adrénaline, de se confronter aux secrets indicibles et au danger, au-delà de l’envie de faire éclater des scandales pour rendre le monde meilleur. 

« Nous formons une grande famille. Une smala de torturés et touche-à-tout passionnés et dévoués à leur travail. »

Le sujet était brûlant à sa parution en 2015, alors que le phénomène se trouvait en pleine explosion ; sept années et un Bataclan plus tard, cette « mode du djihad » a des conséquences concrétisées dans les esprits ; ainsi, le livre n’a pas vieillit, mais se lit différemment. Pour ma part, il s’est dévoré.

Editions J’ai Lu, Poche, 2015

Faut-il s’attaquer aux livres de Game of Thrones ?

 » Lorsqu’on s’amuse au jeu des trônes, il faut vaincre ou périr, il n’y a pas de moyen terme. « 

De tous les fans de Game of Thrones que je connais, nombre d’entre eux m’a interrogé sur mon expérience de lecture de la saga littéraire sur laquelle se base la série à succès. Cet article vise donc à partager ma découverte des deux premiers tomes écrits par George R. R. Martin. Une lecture, je précise, entreprise après avoir visionné l’intégrale des épisodes en VF d’abord, puis en VO avec sous-titres, puis en VO sans sous-titres.

I. Préambule

Bon. Je n’ose pas calculer le nombre d’heures de ma vie que j’ai perdu devant Game of Thrones et le pire c’est que dans mon cas, le terme « perdu » se doit d’être relativisé en considération du degré de réjouissance que provoquais en moi chaque moment où Daenerys s’envolait sur un dragon géant. Plus le fait que j’ai enrichi mon vocabulaire anglophone d’un tas de termes parfaitement inutiles à mémoriser tels que « pont-levis » ou « décocher » en faisant référence à un arc. Cela n’empêche qu’il m’est difficile de résumer l’intrigue ; il s’agit quand même de huit saisons avec des tonnes de personnages et d’intrigues secondaires.

Game of Thrones, donc, ou le Trône de Fer en V.O., nous emmène dans un univers imaginaire et inspiré de l’Angleterre médiévale, où les résidents d’une terre appelée Westeros se tapent dessus pour le contrôle absolu des Sept Couronnes, rassemblées dans un espèce d’état fédéral où le président ou plutôt le Roi, dans une vision démocratique semblable à celle de Poutine, chapeaute le tout depuis un trône formé de milliers de lances de fer. Les personnages issus pour la plupart des couches sociales supérieures avancent au fil des saisons entre alliances, mutineries et règlements de compte, pour sauver l’honneur de leurs Maisons et créer un monde meilleur -bien que leur vision respective du fameux monde meilleur diffère. Au Nord, un mur a été créé pour protéger le monde des vivants du Roi de la Nuit, l’armée des morts, ainsi que des sauvageons préférant le froid au fait d’être soumis à des décrets royaux. Des précurseurs de l’anarchie, en fait.

A la différence de Tolkien, le peuple des Hommes est le plus représenté à Westeros, mais l’implication du surnaturel dans le quotidien apparaît régulièrement, sous la forme des Marcheurs Blancs (ladite armée des morts, qui se multiplie au fur et à mesure qu’elle tue), des sorcières condamnant les innocents au supplice du bûcher (Martin a voulu les venger) ou plus rarement, des dragons, sur lesquels seule la Maison Targaryen exerce le contrôle. Ainsi, les trois oeufs de dragons que Daenerys reçoit en consolation pour un mariage forcé lui permettront-ils de reconquérir le Trône volé à son père par le Roi Robert Barathéon  ?

Je ne débattrai pas ici sur la pertinence du final de la série ; à ce sujet, vous trouverez de quoi vous occuper sur Youtube, où des tas de geeks dans un état de désarroi profond exposent leur propre version de la fin idéale sur des montages vidéo improvisés, ainsi qu’une pétition signée par les fans et transmises aux réalisateurs pour demander un nouveau tournage de la saison 8 (ce qui a fait grincer les dents des acteurs ayant passé toute une année à se lever à trois heures du mat’ pour faire semblant de s’entretuer dans la neige). Je dirai juste, de mon côté, que la fin de ladite saison m’a laissée très seule et très triste et que j’ai décidé de pousser dans le tragique en m’attaquant aux livres pour voir une lumière au bout du tunnel. J’exagère à peine.

II. Introduction

En ce qui concerne les livres, j’en savais très peu, excepté que l’auteur a obtenu des prix lors de la parution de la saga dans les années 1990. Ainsi, quand on se moquait de mon obsession pour Westeros, je répondais « oui mais en fait, c’est de la littérature ! ». Je précise que j’ai peu de lectures à mon actif dans le genre de la fantaisie, excepté les Harry Potter (puisque j’avais onze ans pile en même temps que le protagoniste quand il entre à l’école des sorciers et qu’à l’époque, j’espérais aussi recevoir ma lettre pour Hogwarts), plus une tentative avortée de terminer la Communauté de l’Anneau (rares sont les livres que je ne termine pas, c’est pourquoi je m’époumone à dire qu’il ne s’agit que d’une pause et que je reprendrai Tolkien plus tard, mais il faut admettre que la pause dure déjà depuis trois ans et que je ne suis pas allée plus loin que le chapitre de l’arrivée à Bree). A savoir que les tomes de G. R. R. Martin étaient vendus séparément à leur parution, mais les publications ultérieures regroupent deux volets en un seul ouvrage, et j’ai donc acheté tout d’abord le tome I qui se porte sur le premier livre La Glace et le Feu et le second Un donjon rouge.

III. Analyse

Alors finalement, lire Game of Thrones, ça donne quoi ?

a) Une concentration à toute épreuve….

J’étais loin de m’attendre à un niveau de langue aussi soutenu. En réalité, je me suis félicité d’avoir opté pour la version numérique des livres, car ma liseuse a un dictionnaire intégré et ce n’est pas ironique. Si l’on prend en compte le talent littéraire de l’auteur couplé aux champs lexicaux de l’univers guerrier et médiéval dont je ne maîtrise pas le voc’, on se retrouve à interrompre sa lecture pour rechercher les définitions de mots comme «étourneau » «zibelines » ou « rubec ». Les scènes de combat exigent par ailleurs une concentration sans faille pour suivre quel coup est donné par qui et qui finit par perdre sa tête. Pour finir, les personnages des classes populaires s’expriment dans un registre de langue très différent du narrateur mais ponctué d’interjections et d’amuïssements. Tout cela exige une relecture de certains passages, ou un lâcher-prise par rapport au besoin de tout comprendre (j’ai pris l’option 2, je m’en fous, j’ai vu la série). J’ai été étonné de lire que G. R. R. Martin a été critiqué pour son style car selon moi, il n’est à douter que ce Monsieur sait écrire ; cela rend la lecture un peu moins récréative que prévu à mon sens, et en matière de fantaisie, la volonté de repérer les symboles et allégories derrière le texte passent au second plan, je m’attends juste à lire pour me divertir. 

b)  Une intrigue fidèle au scénario

Pour les deux premiers tomes en tout cas, j’étais surprise de retrouver de nombreuses scènes de la série reproduites presque mot pour mot dans le texte et le fil conducteur principal du récit est parfaitement suivi. Il est à relever que l’auteur a participé activement à l’élaboration des scénarios, étant lui-même scénariste pour la télévision. Les aisances face à l’histoire originale sont telles que l’on peut s’y attendre lorsqu’il s’agit de porter un texte si long à l’écran : certains personnages ont été éludés, tout comme certaines intrigues secondaires. Toutefois, le premier tome commence bien par le mariage de Daenerys et se termine sur la décapitation de Ned Stark. En plus des faits à proprement parler, le lecteur retrouve l’univers de la série HBO qui ne daigne pas à briser les tabous et confirme son goût pour la violence sanguinolente.

L’auteur a opté pour une narration interne, ce qui est sa grande particularité et une des raisons qui ont valu à son oeuvre le prix de Meilleur roman fantastique en 1997. Ainsi, tous les personnages principaux prennent la parole à tour de rôle pour raconter leur bout d’histoire. Cette forme narrative donne de la profondeur au récit, les protagonistes portent l’histoire sur leurs épaules, au détriment parfois de l’intrigue elle-même. J’ai toujours trouvé que la richesse de la série était de présenter des personnages dotées d’une certaine complexité intérieure et peu stéréotypés. Nombre d’entre eux présentent plusieurs visages et contribuent au suspense par leur fourberie. Ainsi, même la reine Cersei est capable d’attiser la sympathie du lecteur.

c) Une certitude de rester sur sa faim

Les grands fans le savent peut-être, la série d’HBO suit le scénario des livres jusqu’à la fin de la saison 5. Les trois saisons suivantes sortent de l’imaginaire des réalisateurs avec sans doute GRRM comme souffleur. Pas parce qu’ils souhaitaient prolonger par charité le contrat de Kit Harrington, sauvagement poignardé à la fin du cinquième tome, mais simplement car les trois derniers livres n’ont pas encore été écrits. On peut croire à une blague, mais l’auteur a pondu son dernier exemplaire en 2011. Début 2012, le tournage pour HBO commence. Un emploi à plein temps pour Monsieur Martin ? Je veux bien concéder qu’écrire prend du temps, toujours est-il que depuis passé douze ans, le scénariste est bloqué sur l’écriture de Winds of Winter, annoncé pour 2020, puis 2021, puis… J’espère que l’auteur a encore de beaux jours devant lui mais je mentionne en passant qu’il a 74 ans et serait actuellement sollicité pour le tournage des spin-off dérivés de Game of Thrones, notamment House of Dragons que la RTS nous a généreusement offert en octobre passé. En bref, on peut s’attaquer à lire l’intégrale de la série, mais au-delà du fait qu’il faudra retenir un nombre incommensurable de noms de lointains cousins des Stark et des Lannister, on avance certains de passer nos soirées post-lecture à rechercher des avis sur le Web pronostiquant sur la date de la sortie effective du prochain livre. Qui soit dit en passant, n’est pas le dernier. Si je récapitule, on a à peu près autant de chance de panser les plaies du final de HBO à travers les livres de Martin que de voir la Nati remporter la prochaine coupe du monde et franchement, après une lecture ardue demandant concentration et persévérance, c’est frustrant. Et si J. K. Rowling avait arrêté les Harry Potter à la fin de l’Ordre du Phénix ? J’en frissonne rien que d’y penser.

IV. En conclusion…

Il est possible que Martin ait arrêté d’écrire ses livres en voyant que la série HBO remportait un tel succès que plus personne ne s’intéresserait à ces vieux parchemins poussiéreux contenant l’original de l’histoire. Dans la Bible, le Nouveau Testament n’a-t-il pas détrôné l’Ancien ? Eh bien, je lui en veux, mais une part de moi comprend ce Monsieur.

Parce que moi, j’ai arrêté de lire après le tome 2. Pour la simple et bonne raison que la série HBO est plus divertissante. Et franchement, dans cette histoire, c’est le serpent qui se mord la queue, parce qu’au-delà du final, nul dans les deux cas (mal écrit pour la série, inexistant pour les livres), une oeuvre de cette envergure sans suspense est l’équivalent d’un plat de sushi sans sauce soja: manquant de saveur et limite décevant. Et moi, je lis les aventures d’Arya Stark, Jon Snow, Tyron Lannister et Daenerys Targaryen sans suspense parce que merci HBO, je connais déjà la fin. Ainsi, pour l’instant, ma lecture des livres de Game of Thrones a le même statut que celle de la Communauté de l’Anneau: en pause. Je reprendrai quand le mec barbu qui peut se vanter d’avoir créé Westeros aura cesser de nous mener en bateau et publier son prochain bouquin. Promis.

  • Version originale : 1996. A song of ice and fire : A Game of Thrones.
  • Traduction : Editions Pygmalion, 1998. Le Trône de Fer. Réuni en un seul volume en 2012. 

America(s) – Ludovic Manchette et Christian Niemiec

« Il faut surtout pas suivre les chemins tout tracés. C’est le meilleur moyen d’aller nulle part ! » 

Ce roman initiatique dépeint l’Amérique des années 1970 à l’époque de la guerre du Vietnam et du Flower Power. La narratrice, c’est Amy, quatorze ans, enfin treize et demi. En réalité, douze. 

Nous sommes en juillet 1973. Amy provient de l’univers whitetrash, la classe ouvrière blanche et pauvre, peu cultivée, qui maugrée sa colère du monde devant la télévision. Sa grande soeur Bonnie a pris le large l’année précédente pour tenter sa chance en tant que playmate à Los Angeles. Elle, en désaccord avec les idées de son père, rêve de se marier avec Ryan O’Neal et de soigner les baleines. Quand sa meilleure amie perd la vie dans un accident de la route, elle décide de s’en aller à son tour et de retrouver Bonnie dans la Mansion de Playboy. 

Dépouillée de son argent dès le premier trajet, l’enfant continue en stop, naïvement. Au fil de ses rencontres sur la route 66, c’est un panorama de l’Amérique des années 70 qui se déploie devant notre imagination de lecteur, tenu en alerte par l’attachement à cette héroïne dont le jeune âge est à la fois un fléau et une chance. Celle qui pourrait être victime attise l’empathie des routiers qui se relaient pour la rapprocher de sa destination. Non sans humour, car la gamine fait son chemin de mensonge en mensonge. 

Les auteurs ont publié précédemment Alabama 1963, roman à succès. Ils sont traducteurs pour le cinéma et spécialistes de la culture américaine. Ainsi, ceux qui ont connu les années hippies seront ravis de retrouver les références de la pop culture de l’époque, Bruce Springsteen dans son propre rôle, le patron de Playboy Hugh Hefner, Cher et le film Love story. Les auteurs ont attaché un soin particulier à vérifier les faits historiques de ce mois de juillet 1973 cités en trame de fond. Dans mon cas, peu de références connues, mais je me suis plu à comparer les thématiques de l’époque avec l’actualité ; sont abordés les débuts de l’écologie, du végétarisme, de la transsexualité. En principale dissonance, la question de la sexualisation du corps des femmes, aujourd’hui diabolisée, à l’époque érigée en modèle de révolte contre l’ordre établi. Et le patron de Playboy est une figure millitantiste progressiste, conspué par les milieux conservateurs plutôt que les féministes. 

Au-delà de servir la cause des nostalgiques de cette époque, l’intérêt de ce récit réside à mon sens dans le regard enfantin de la protagoniste, dont la candeur permet un détachement face au tragique. Le manque d’amour parental, la solitude et le deuil sont les thématiques en fil rouge. Mais à entendre Amy, il suffit d’un brin d’audace et d’une forte propension à mentir pour changer de vie. Le contexte historique plus permissif joue sans doute en sa faveur car de nos jours, on imagine très rapidement la police et les services sociaux à ses trousses. Quoi qu’il s’agisse peut-être de ma manière de transposer les dispositifs helvétiques dans le contexte Outre-Atlantique.

Finalement, ce road trip est aussi une sortie de l’enfance, avec en suspens la question qu’on pose à Amy sur la route : « est-ce que tu fuis, ou tu vas quelque part? ». Fuir le schéma parental, elle le souhaite pour sûr. Au fil du périple, elle découvre de nouveaux modèles dont elle peut choisir -ou non- de s’inspirer ; à Los Angeles, nous assistons à une cessation abrupte de l’idéalisation de ses idoles de petite fille, y compris la figure de la soeur, qu’elle s’acharne pourtant à retrouver.

Il s’agit finalement d’une jolie histoire, racontée sans fioriture, très accessible, imprégnée de candeur et de positivisme. Un bon divertissement.

Editions Pocket, 2023.